Quino – Mama Susanita

 

 

 

 

Zone de Texte: « Le désir d’appropriation du sentiment de moi est sans limites ; les grands hommes parlent comme si tous les âges se tenaient derrière eux et s’ils étaient la tête de ce long corps, et ces chères femmes se font un mérite de la beauté de leurs enfants, de leurs vêtements, de leur chien, de leur médecin, de leur ville, à ceci près qu’elles n’osent pas dire : « tout cela, c’est moi » »												Nietzsche, Aurore, IV, § 285

                                                                   

 

 

 

 

 

 

Zone de Texte: Lorsqu’on imagine le propriétaire terrien regarder sa terre, le villageois sa ville ou la mère la réussite de son enfant ce n’est nullement un pur sentiment désintéressé de contemplation esthétique qui explique le profond sentiment d’expansion et d’attachement  qui est relié à cette contemplation – c’est que cette terre qui s’en va au loin par delà les montagnes, cette ville et sa grandeur, cet enfant et son avenir de médecin « c’est moi » =  la représentation d’un objet (posé devant moi, à distance de moi, devant mon regard : celui de la perception, comme celui de l’imagination) dont je projette devant moi le sens et les schémas constitutifs (cette ville est, par exemple, tissée de mille souvenirs et mille attachements qui n’appartiennent qu’à moi), ces schémas de constitution et de lecture profondément ancrés dans l’histoire de mes affects qui me dispersent et me déploient à travers la campagne, la ville, cet enfant… De tels objets sont constitués comme un miroir expansé du moi figurant une quasi-totalité parfaite à travers laquelle je me / les lis comme la réalisation de mon désir central, celui d’être le centre-tout.

Il est classique, en effet, de dire que l’on éduque ses enfants et que l’on désire pour eux tout ce que nous n’avons pas pu être – mon enfant devient ainsi le miroir à travers lequel se projette mon désir d’être le centre-tout,  tous ces désirs de grandeur qui, toujours là, ne trouvent pas encore en ma propre image réalisation. Ainsi de l’enfant rêvé de Susanita: elle le voit c'est-à-dire s’y voit, se / le berçant, se / le coiffant, moi / lui réussissant. Dans ces trois premières images elle est avec, la coexistence et la proximité imageant dans la réalité la fusion qu’elle désire et vit par imagination à travers elles (« mon enfant c’est moi »).

La quatrième image vient cependant briser cette illusoire fusion – ce corps à corps avec l’enfant, ce corps à corps avec l’image de soi, révélant l’impossible fusion, l’impossible position d’être ce que l’on désire, à savoir ce centre-tout parfait. L’autre est un autre que moi : l’enfant s’en ira avec une autre, en aimera une autre, il ne sera plus tout à moi, il ne sera plus ce regard qui me confirme dans mon être en me donnant pour moi-même l’image de l’indispensable, de celle qui est « tout » pour un autre (à savoir l’enfant). De là la transformation en haine (de tout ce qui s’oppose à mon désir) : haine de la belle-fille, haine de l’enfant aimé magistralement broyé avant même d’être né par une Susanita ne supportant pas de pas être le centre-tout du monde.