Tintin – la religion démystifiée

 

 

 

 

 

 

 

Zone de Texte: Rappel : pour avoir troublé une cérémonie sacrée et avoir foulé un sol sacré, Tintin, Haddock et Tournesol (responsable lui, d’avoir volé et porté un bracelet sacré appartenant à un ancien Inca momifié – cf. Les sept boules de Cristal), sont condamnés à être brûlés vifs par le feu solaire. Il ne s’agit pas d’une vengeance mais d’un rite de purification visant à rétablir l’ordre sacré troublé – et donc, on imagine, à calmer la colère supposée des dieux.



Eléments d’analyse

La critique de la superstition religieuse dans le temple du soleil par Hergé est strictement conforme à la pensée spinoziste. 

On notera que plus tard et ailleurs (cf. surtout Tintin au Tibet) la critique démystificatrice laissera place à la reconnaissance du caractère éthique potentiellement sis au cœur des religions – soit à la mise en valeur de l’existence de contre-sociétés s’opposant au plat et injuste égoïsme de la société occidentale, cf. Kant, Bloch et Lévinas : l’essence véritable de la religion par delà les absurdes superstitions est d’être appel à la justice, soit à la reconnaissance et à la construction de l’invisible communauté de l’homme avec l’homme. Nous n’en sommes pas là ici. 


On notera ici : 

1) L’opposition entre le sérieux de la cérémonie (costumes, rites) et l’aspect imaginaire de jeu (ciné, décors, acteurs) qu’y découvrent et dévoilent Tournesol et, connaissant et se servant de ces règles, Tintin. Alors qu’il en va pour les Incas du sens de la vie, qu’il s’agit ici de rétablir l’ordre sacré de l’univers, pour ces deux occidentaux il ne s’agit que d’imaginaire.

2) Cette opposition révèle deux conceptions antagonistes de ce qu’est la nature. Pour les Incas, la nature a un sens, sens inscrit dans les mythes – elle parle, est donc remplie de signes agis par des puissances supérieures qu’il faut se concilier par des rites magiques afin de maintenir et rétablir l’ordre sacré de l’univers. Pas un geste alors, pas une parole qui ne soit lourde de conséquences cosmiques heureuses ou malheureuses. De là la dévotion et la crainte (cf. la fuite panique des Incas) comme rapport fondamental à la nature. A contrario la nature, système aveugle et muet de causes et d’effets, n’a aucun sens pour les occidentaux – elle ne veut rien et ne veut donc rien dire. Seul l’homme y parle et agit : la conception inca est un anthropocentrisme et un anthropomorphisme qui projette les produits de l’imagination humaine à travers les cieux et y asservit la vie.

3) Connaissant les véritables causes des choses – et ici de l’éclipse, non signe de la colère des dieux donc de malheur destructeur du monde, mais rapport rationnel calculable entre les positions du soleil, de la lune et de la Terre – Tintin substitue à la crainte superstitieuse (naissant d’une méconnaissance des causes et d’un rapport imaginaire au réel) la maîtrise assurée : aussi peut-il manipuler sinon le réel tout entier, du moins cette réalité qu’est le système de passions de la société des incas. 

4) Au caractère réduit et enfermé dans leur perspective de la vision de la plupart des hommes (les Incas, Tournesol, Haddock, les Dupont), Tintin oppose le regard ouvert et universel du Sage.  Tintin – et ceci est vrai à travers toute l’œuvre d’Hergé - c’est l’œil de la vérité ; et c’est à travers cet œil que nous sommes invités à percevoir le monde.
. Les Incas sont enfermés dans une perception imaginaire du monde qui ne se connaît pas comme imaginaire (ce que dévoile Tournesol en n’y percevant que du cinéma).
. Haddock, juge les choses depuis le point de vue fermé d’un marin occidental (cf. « Vous appelez ça une musique, vous ? » - et son incapacité à nommer)
.  Ne parlons pas des Dupont – totalement aveugles au réel, déphasés et enfermés dans leurs hypothèses délirantes.
. Tournesol, quant à lui, a un intéressant rapport au monde : il est sourd à une partie du réel tout en en connaissant cependant les lois générales – de là sa capacité d’invention technique. Le regard de Tournesol est un regard détaché, toujours à distance du réel et déconnecté des enjeux de la vie réelle : c’est un rapport technique, théorique et esthétique au monde.

Ce qu’il ne voit pas ? Ce que seul voit Tintin – la réalité du présent et ses enjeux éthiques. Tintin connaît l’horizon d’attente et le monde imaginaire Inca ; sait qu’il s’agit pour eux d’une scène sérieuse et vraie ; sait qu’il va y avoir une éclipse ; sait ce qu’est réellement une éclipse ; sait ce qu’est une éclipse pour les Incas ; et en même temps sait agir opportunément dans le sens éthique c'est-à-dire dans le sens de ce qui est le mieux – ici sauver des vies humaines.

Tintin comprend, aime et maîtrise : par delà la raison abstraite et détachée du savant, il est la raison même, agissante concrète et tendue vers le bien  du Sage.