Art, bonheur et vérité

Deuxième partie

Il s'agit ici d'un simple résumé de cours.

1)       Nous proposions tout d’abord d’entendre deux propositions de Nietzsche qui nous invitait à faire danser la vie. Faire danser la vie c’est-à-dire faire vibrer de l’enthousiasme de la liberté et de la joie tant les corps pesants attachés à la Terre que les divers sens qui nous ouvrent au monde, qu’enfin les idées et les mots par lesquels nous pensons notre situation. Si vivre c’est, en effet, tracer un chemin dans le réel en quête d’un sens de la vie, celui qui se met à danser semble bien avoir trouvé son chemin - soit le sens de la vie. A l’opposé de celui, insatisfait, qui marche le dos courbé, la danse manifeste, en effet, une réconciliation pleine et intense, corps et âme, avec la réalité – réconciliation du désir et du réel qui est la définition même dubonheur.

 

2)       Encore ne fallait-il pas entendre trop naïvement une telle invitation à faire danser la vie. Ce n’est pas, en effet, que la réalité soit telle que, conformément aux illusions du désir naïf qui croit trouver dans l’objet immédiat de son désir (tel amour, telle situation, telle propriété) la solution au problème qu’est sa vie, il y soit immédiatement et facilement possible de danser. Contrairement à certaines comédies musicales qui repeignent la réalité avec de l’eau de rose, le réel, dit Nietzsche, est bien plutôt analogue à de la « glace » – c’est-à-dire à une surface qui n’est pas faite pour les hommes. Conception tragique de la réalité : l’homme en quête de sens et de stabilité est jeté dans un monde tissé par le hasard qui n’apporte ultimement que mort et séparation – là où le désir humain chercherait l’union et l’éternité. Or c’est sur ce fond tragique - comme Fred Astaire et Ginger Rogers dans Follow the fleet ou, pire encore, Bjork à la fin du film Dancers in the dark - que la philosophie de Nietzsche  nous invite à danser.

3)       Une telle invitation, notions-nous, recouvre une forme de sagesse. Celle consistant tout d’abord à montrer que, au sein de toute réalité, comme le pilote dans son navire au cœur d’une tempête dont ils n’est pas le maître, toute situation, même la plus détestable laisse ouverte la possibilité de quelque choix. Ainsi de Fred Astaire qui, au sein du désespoir alors que tout invite à baisser les bras décide de se lancer en une dernière danse – danse qui n’est pas seulement le tracé d’un chemin libre et propre dans le non-sens du monde, mais aussi, bien plus haut, saisi par un enthousiasme qui ne peut naître qu’après les premiers pas, celui d’un chemin vibrant de bonheur dans lequel, loin de cette masse inexorable et fatale qui pèse sur les corps et leur forge un destin, le monde apparaît, un instant, comme le terrain de jeu jubilatoire de son plus haut désir.

 

4)       Celle ensuite qui, contre la tendance de notre imagination à s’échapper du présent pour un futur inexistant consiste à goûter intensément un présent qui jamais plus ne reviendra. Décider de vivre pleinement le présent en se donnant (cf. 3 – le premier pas) à la situation, c’est, comme le disaient les stoïciens tenter de vivre chaque instant (ou du moins certaines franges importantes de notre vie) comme s’ils étaient les derniers et ainsi : a) renoncer aux jeux de l’espoir et de l’imagination qui nous projettent vers un ailleurs dont la beauté disqualifie la seule réalité qu’est notre présent ; b) renoncer à l’idée qu’ « on a bien le temps », idée par laquelle nous ne vivons qu’à moitié, ayant bien le temps, croyons-nous, demain de nous donner entier ; c) prendre conscience du fait que chaque instant non pleinement vécu, est autant d’une parcelle de vie gâchée qui ne reviendra plus.

 

5)       Pour donner corps à cette idée nietzschéenne de « faire danser la vie », de Fred Astaire à Bjork, nous avons choisi nos exemples au sein du cinéma. Mais précisément, avons-nous soupçonné, une telle idée n’est-elle pas une manière encore de (se) « faire du cinéma » c’est-à-dire, selon la pensée populaire qui sied en cette formule, de tenter de masquer l’horreur d’une réalité en laquelle il est, peut-être, impossible de danser (c’est-à-dire d’y faire naître dans l’enthousiasme liberté et bonheur) ? Ce soupçon c’est cependant le cinéma lui-même qui nous le fait penser : chacun à leur manière, les films Pennies from heaven (Herbert Ross, 1981) et La rose pourpre du Caire (Woody Allen, 1985) dévoilent la prétendue illusion du septième art (le cinéma). « Usine de rêve », substituant à la réalité un monde conforme à nos désirs, le cinéma et avec lui l’art tout entier, serait un essentiel divertissement nous permettant de nous évader d’une réalité qui jamais, sinon par oubli et par jeu, dans l’espace irréel de l’œuvre, ne pourrait véritablement vibrer à la mesure de nos désirs.

 

6)       Tout art est-il cependant pensable sous l’idée simple du divertissement ? Certes, ainsi que dans la salle obscure s’éteint la lumière du monde, la  perception des œuvres suppose que nous mettions de côté la réalité présente, faisant, par jeu, comme si elle n’existait pas. Mais une telle extinction ne serait une pure évasion de la réalité que si notre perception quotidienne (hors salle) de cette réalité était une perception adéquate et parfaite (vraie). Or ainsi que nous le propose Hergé dans une série de planches du Temple du soleil, la vie quotidienne est non pas l’opposé pur du réel et du cinéma – comme la lumière s’opposerait à l’ombre – mais, parce que les hommes (ici les Incas) vivent comme évidentes et vraies un ensemble de significations imaginaires inventées (leur mythologie) - une forme de cinéma inconscient de soi : les hommes obéissent à des scénarios, jouent des rôles, sentent, pensent et désirent selon des schémas inventés dont ils n’ont pas conscience. Dès lors loin d’éteindre la conscience de la réalité, n’est-ce pas davantage cette conscience imaginaire du réel que nous demande de mettre de côté la contemplation des œuvres ? Eteindre la lumière de la salle ne serait donc pas nécessairement éteindre notre conscience de la réalité mais, tout au contraire, peut-être, rendre possible et accessible une toute autre lumière sur la réalité. L’art, dès lors, comme le posaient chacun à leur façon Hegel et Bergson, pourrait avoir vocation à dire la vérité.

 

7)       Pensant la relation de l’art à la vérité, soit à la mise en lumière d’aspects singuliers de la réalité, nous avons pu établir cinq modalités du rapport de l’art à cette réalité (modalités qui, bien entendue, en une œuvre singulière peuvent se rencontrer, s’opposer et se mêler) :

a)      Lorsqu’il dévoile le comique latent sous le sérieux des conduites, soit le fonctionnement mécanique de marionnettes inconscientes d’elles-mêmes quoique croyant pourtant à leur propre liberté, l’art se fait art comique.

b)       Lorsque, sur la même ligne critique, à travers le sentiment d’une inquiétante étrangeté, les œuvres dévoilent un fond ténébreux, angoissant, pulsionnel ou bien encore vide de tout sens, derrière les belles apparences gorgées de sens de la vie quotidienne, l’art se fait ce que, faute de mieux, on peut appeler un art des bas-fonds.

c)     Quand, au contraire des deux lignes précédentes, les œuvres prennent au sérieux les significations desquelles nous vivons (l’amour, l’espoir, la beauté…), une forme d’art vise, non plus à critiquer, mais à déployer ces significations qui, au sein de la vie quotidienne, ne sont perçues que de façon fragmentaire et presque impersonnelle. Tel est, en un sens très large, l’art dramatique.

d)        Parce qu’ensuite notre vie et notre monde présents loin d’être tout ce qui est et tout ce qui aurait pu être ne sont qu’une vie et qu’un monde possibles parmi des myriades qui, selon les circonstances et selon les époques, auraient pu être tout autres, une voie de l’art, à laquelle on peut donner le nom d’art des possibles, vise, à son tour, à nous faire vivre par imagination ces tout autres existences.

e)      Parce qu’enfin toute réalité tend à s’évanouir et à disparaître dans l’oubli comme si jamais elle n’avait été, une voie originelle de l’art consiste à ressusciter l’image des vies et des mondes disparus. Tel est, enfin, l’art commémoratif.

 

8)       Ce qui ferait alors toute la différence entre une médiocre et une véritable œuvre d’art, c’est le fait qu’alors que la première se mouvrait tout entière dans le cliché et la répétition, la seconde seule parviendrait à ouvrir de nouvelles qualités de perceptions, nous donnant à sentir et penser, en dévoilant des aspects insoupçonnés de notre réalité

 

9)       Mais si l’œuvre d’art ne saurait adéquatement être pensée sous la catégorie du divertissement (évasion, oubli, plaisirs faciles et flatteurs – notons ici que, conformément à une pensée d'Aristote, le divertissement n’est pas blâmable en soi, il est bon et nécessaire dans son ordre comme un jeu ou une pause dans le sérieux de la vie – il ne devient critiquable que lorsqu’il annexe l’essentiel de cette vie qui ne saurait en ne faisant que se divertir construire bonheur et liberté) parce que l’une de ses fonctions essentielles serait de nous ouvrir les yeux, que peut donc changer à nos vies réelles un tel voyage au cœur des terres de l’art ? Si une des vertus de l’art (7.c) est de déployer devant nous la beauté et la hauteur singulière de mondes inédits et inconnus de nous, sommes-nous à nouveau condamnés à rester spectateurs de tels mondes, impuissant à en réaliser la puissance singulière au sein de nos propres vies, ou bien pouvons-nous – et à quelle conditions ? – en nourrir nos vies, de telle façon que, grâce à une telle nourriture, notre existence-même en soit élevée et intensifiée ?

 

10)    Répondre comme précédemment (5) que l’art, créature du désir, appartient au domaine du spectacle et du jeu, par nature étranger au sérieux de la vie, c’est présupposer une opposition tragique et radicale entre le désir et le réel, d’un côté, et à sa suite, l’imaginaire et le réel qui, en effet, condamnerait l’humanité au rêve impossible d’une vie pleine et heureuse. Mais un tel présupposé ne va pas tant de soi qu’il apparaît au prime abord. C’est qu’à élargir notre vue, on ne peut, semble t’il et selon Bergson, penser tant la nature entière qu’en son sein les sociétés humaines sans poser l’existence de la puissance efficace d’une forme de désir et d’imaginaire. Que sont, en effet, les multiples espèces de vivants sinon autant d’ « œuvres d’art » (Bergson) soit le luxe de créations hypercomplexes dont toute l’activité consiste à reproduire l’irréductible et contingente organisation ? Que sont, d’autre part, les sociétés humaines sinon, à leur tour, l’incarnation d’un ensemble structuré de « significations imaginaires sociales » (Castoriadis), elle aussi inventées, que toute l’activité de la société consiste à reproduire ? De telles formes vivantes ne sont-elles pas ainsi la preuve que la réalité vivante est celle de l’activité structurante d’un certain désir et d’un certain imaginaire qui, loin de s’opposer simplement à une réalité supposée étrangère à tout désir et tout imaginaire, en constituent la structure profonde ?

 

11)    Dire cependant qu’êtres vivants et sociétés humaines sont des formes d’ « œuvres d’art », n’est-ce pas laisser de côté l’aspect sérieux, utilitaire et matériel de la vie, oubliant que toute vie est une lutte et un travail desquels la notion d’art, enveloppant, semble t’il, les idées de jeu, de luxe et de gratuité, semble totalement absente ? Parce qu’ un corps vivant est un corps matériel et parce que la matière, suivant sa logique propre, résiste aux mouvements de la vie, cette activité vivante de structuration suppose, en effet, un effort et un travail permanents – celui consistant à assimiler, organiser et rejeter la matière conformément aux visées propres de l’être vivant. Mais, d’une part, il y a, semble t’il, en tout être vivant absorption et constitution d’un excès d’énergie dépassant les seules conditions de sa survie – énergie libre dépensée en croissance, reproduction ou jeu. L’évolution du vivant manifeste, d’autre part, à travers la création organique, puis, via l’invention de l’intelligence, d’outils et enfin, avec l’homme spécifiquement, de machines, tout à la fois une plus grande maîtrise technique de la matière et une libération croissante de temps et d’énergie pour la création de formes et d’activités luxueuses vis-à-vis des seules exigences de survie. Avec l’humain, enfin, via peut-être, selon Sloterdjick, l’invention de la technique du feu, se déploie une forme de « cocon » protecteur au sein duquel, à l’écart de la lutte pour la survie, va pouvoir s’épanouir la sphère de luxe de la culture. Si, en effet, l’activité des autres êtres vivants que l’homme tend à ré-organiser dans la répétition une structure acquise, l’homme se distingue, quant à lui, par une pensée libérée vers le monde et l’avenir et, par là, créatrice. Produit de l’imagination humaine, la culture – soit, à nouveau, l’ensemble des « significations imaginaires sociales » incarnées dans la pratique - est ainsi le milieu même de l’homme.

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12)    De ce point de vue, par conséquent, une culture et un être humain en son sein peuvent être décrits comme des œuvres d’art vivantes. Architecture, manières de sentir, penser, désirer, se mouvoir, s’exprimer… - manières d’être au monde - manifestent toutes un certain style d’existence qui est une invention. Grâce à cette nourriture qu’est l’éducation permanente, ce style culturel devient le style de chacun, permettant à son être de transformer et d’élever cette première œuvre d’art qu’est son corps naturel à cette seconde qui fait de lui un être de culture. On peut ainsi décrire les mouvements de tous les êtres vivants – des hommes y compris, qui inventent spécifiquement de nouveaux mouvements -  de façon musicale ainsi qu’une danse – mouvements, rythme, harmonie, mélodie. De ce point de vue, lorsque Fred Astaire se met subitement à danser, il n’oppose pas simplement la danse à la non-danse mais une certaine danse, plus haute, jouissive et libre, à une autre danse, celle des mouvements stylisés de la vie quotidienne. De la même manière le grand cuisinier qui invente de nouvelles harmonies et mélodies de plats n’oppose pas l’art de la cuisine au non-art quotidien mais un nouveau style, plus haut et intense, au goût et aux manières déjà stylisées de la vie quotidienne.

 

13)    On saisit peut-être alors le sens profond de la création artistique au sein d’une culture qui est déjà en elle-même à penser ainsi qu’une œuvre d’art. Alors qu’au sein de la vie quotidienne, les styles tendent à se fixer dans la répétition et à s’endormir dans l’habitude, la création vient : a) donner le spectacle d’un autre style, plus haut et intense ; b) réveiller la créativité endormie dans les formes figées ; c) soumettre à la critique les formes culturelles en les invitant à se dépasser (cf. 7.a et b). Exemple du tambour (1979) de Volker Schlöndorff : insurrection contre un rythme et une harmonie figés et mortifères, le tambour de l’enfant, invite à une toute autre danse, une toute autre culture, un tout autre style de vie.

 

14)    Dès lors la question de l’irréalité de l’œuvre se pose en de tout autres termes que précédemment (cf. 9) : parce qu’elle rompt avec le sens institué et commun, l’œuvre se donne nécessairement en un spectacle détaché de cette vie commune. Mais loin d’être par essence condamnée à figurer une autre vie impossible, la grande œuvre peut être pensée ainsi qu’une invitation à l’action, au changement et à l’élévation de la vie – elle n’est pas un « rien » mais un « pas encore ». Pour qu’une telle affirmation ne soit cependant pas vide il faudrait tenter de montrer que : a) si la grande œuvre est analogue au germe d’une nouvelle vie, celui-ci ne prend pas nécessairement – son développement au sein de la vie dépendant de sa relation à la nature et à la qualité du « terreau » culturel capable de l’accepter et de lui donner vie (ni Bach, ni Jésus ne pouvant, par exemple et par hypothèse, être entendus par l’homme primitif) ; b) que ce germe peut prendre c’est-à-dire élever et nourrir la vie soit d’un seul (ou d’un groupe d’) individu, saisi(s) par sa hauteur propre (cf. le film Ghost dog (1, 2, 3) de Jim Jarmusch (1999) – où l’éthique décalée et anachronique d’un samouraï, soit d’un style inventé, noble et haut de vie, s’oppose à une société plate et médiocre incapable de le comprendre) ; c) soit d’une société entière, ce qui amène à penser des genèses culturelles – ces grandes transformations qui modèlent la vie historique des peuples (l’efficacité du style chrétien, musulman ou bouddhiste de vie, par ex. qui toutes ont pour origine quelque grande création ; mais aussi, par ex., et pour faire problème, la naissance du nazisme et des camps de la mort; enfin, peut-être encore, la naissance d’un style et d’une forme d’amitié ou d’amour, etc.).

 

15)    La marche, les gestes, les fluctuations singulières de la voix, la complexité des formulations, la manière d’aimer ou manger d’un occidental basique… auraient ainsi bien pu apparaître comme une danse et un chant au style bien étrange et complexe – un luxe inutile et incompréhensible - aux hommes préhistoriques. Pour nous qui, par l’éducation, les incarnons, nous jugeons bien plutôt ces derniers comme relativement lourdauds, incapables et incultes. Dans l’hypothèse possible d’un semblable progrès, que penserons de nous les générations futures ? Pour les extra-terrestres de La belle verte (1, 2) (1996), film de C. Serreau, où des individus beaucoup plus harmonieux que nous se déplacent par moment en faisant roues et saltos, c’est bien plutôt l’humanité occidentale ordinaire qui apparaît comme primitive. N’est-ce pas, au sein de notre époque, ce que nous signifient les grands penseurs, poètes, musiciens, cuisiniers (cf. Ratatouille de Pixar), danseurs, gymnastes, etc.  ouvrant pour la vie l’horizon de nouvelles dimensions de puissance, jouissance (Spinoza, Marx : plus je suis capable, plus je jouis de mon activité), profondeur et hauteur - et auprès desquels nous ne sommes communément, à notre tour, qu’êtres grossiers et lourdauds ? Aussi, élargissant notre horizon et considérant que nous ne sommes, au final, qu’au commencement de l’histoire de l’humanité, ainsi que Barjavel le faisait dire au Jésus d’un Don camillo désespérant d'une humanité lui semblant condamnée à la méchanceté, la bêtise et la médiocrité (Le retour de Don Camillo, 1953), ne devons-nous peut-être pas à notre tour désespérer de l’inculture et de la sauvagerie relative de notre humanité actuelle : par-delà stagnations et régressions, l'horizon lointain d'un avenir meilleur de l'espèce n'est-il pas, en effet, un horizon possible (quoique non nécessaire), pour lequel il faut, dès maintenant, se battre ?

 

16)    Reste enfin que cette position à distance – celle du spectacle - qui est celle-même de toute œuvre d’art, nous invite à imiter ces dernières afin de grandir avec elles en puissance et hauteur. L’art, pour ses spectateurs, serait donc ainsi une invitation à vivre et à vivre pleinement. La contemplation des œuvres ne serait par là que les prémices nous invitant à devenir acteur en faisant de nos vies entières des oeuvres d’art – soit - comme « Personne » (Terrence Hill) le suggère à Jack Beauregard (Henry Fonda) dans le film Mon nom est personne (1973) de Sergio Leone – à tisser une histoire singulière, danse ou chemin de vie choisi et non subi, en un style haut et unique, continuant ainsi en notre être entier le travail de la vie et, à sa suite de la culture, qui est, par un côté, et selon Bergson, complexification, créativité et développement de puissance (cf. 10 et 11). Aussi, retrouvant les premières phrases de Nietzsche (cf. 1), peut-on ici enfin réconcilier art, bonheur et vérité : parce qu’il est liberté, traçant dans l’univers un chemin de puissance qui est chemin de joie, l’art agi et vécu par lequel nous construisons, intensifions et élevons nos vies n’est nullement illusion : il est l’acte essentiel où, comme disait à nouveau Bergson (reprenant le vocabulaire de Spinoza), une « nature naturée » (un produit de la nature) rejoint « la nature naturante » (la source créatrice qui crée des êtres naturels – espèces, individus) (cf. 10) et, dessinant le réel, se fait modèle et vérité. Si pour le spectateur, l’art a ainsi pour vocation essentielle de dire la vérité d’un chemin de vie possible, pour l’acteur qui « artialise » sa vie, l’art ne dit pas simplement la vérité, il la fait et construit !