Didier d'Alain Chabat ou
les difficultés de l'entrée en culture
(Voir séquence)


Le film raconte l'histoire d'un chien, Didier, qui d'un seul coup, on ne sait pourquoi, se transforme en humain. La scène en question met en scène Didier devenu homme et son maître de fortune, joué par Jean-Pierre Bacri, qui tente de l'éduquer au monde de la culture. Quoiqu'ayant, en effet, le corps d'un humain Didier reste, en effet, de l'intérieur un chien : il urine et défèque sur les murs, il mange sa pâtée à même le sol et l'avale en une fraction de seconde, il tire la langue à tout va et sent sans se lasser le trou du cul des autres. A la spontanéité du comportement animal, Bacri va tenter d'opposer, par le dressage, la retenue, premier pas vers la libération de l'immédiateté pulsionnelle (uriner, sentir, manger) et l'imposition de formes de comportements humains (aller aux toilettes et y cacher son corps nu du regard des autres, ne plus sentir le cul des filles mais garder ses distances et attendre éventuellement leur permission, manger avec délicatesse et fourchette dans une assiette). Maîtrise des instincts et artificialité du milieu et des conduites, deux caractères suprêmement humains, ainsi que le relève ce texte de Georges Bataille :

Je pose en principe un fait peu contestable : que l’homme est l’animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L’homme parallèlement se nie lui-même, il s’éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l’animal n’apportait pas de réserve. Il est nécessaire encore d’accorder que les deux négations que, d’une part, l’homme fait du monde donné et, d’autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l’une ou à l’autre, de chercher si l’éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d’une mutation morale. Mais en tant qu’il y a homme, il y a d’une part travail et de l’autre négation par interdits de l’animalité de l’homme. "  (L'érotisme)

Si Didier se retient et agit en humain dans un milieu humain, qu'est-ce qui fait cependant toujours de lui un chien ? Le fait essentiellement que ce comportement qui est désormais le sien, par la force d'un dressage à coup de réprimandes et de félicitations, n'est pas repris par lui-même comme une exigence propre source de dignité. La dignité morale suppose, en effet, une forme de conscience par laquelle nous guidons notre corps en fonction de l'image que nous voulons pour nous-mêmes, et pour les autres, donner. Par là ce qui était, premièrement, chez l'enfant dressage est repris, continué et transformé par nous-mêmes en fonction de la signification que nous voulons donner à notre vie. Autrement dit, pour reprendre les termes hégeliens de Georges Bataille, Didier est un animal qui ne "nie" jamais par lui-même le donné naturel - il faut toujours un autre, un humain, pour le nier à sa place : de fait, si quelques mamis mettent un slip à leur chiens, cette idée saugrenue n'a jamais émergé dans la tête d'aucun chien.