Sur la perception

 

 

 

I) La perception est une activité subjective constructive et non la réception passive d’un donné

 

 

                                                   

 

 

Commentaire : en pouvant se donner à percevoir tour à tour deux images données, nous nous rendons compte que loin d’être simple réception passive d’un donné extérieur (ce qu’elle nous semble pourtant dans l’attitude naïve parce que nous regardons l’objet et ne sommes pas conscients de notre regard), la perception est construction subjective de son objet. Selon la visée subjective de notre regard, le fond devient figure et la figure devient fond (le saxophoniste, le visage de femme).

 

Notre regard met en forme les données sensibles. Alors qu’il n’y aurait pour nos sens seuls (vue, ouie, toucher…) que des données sensibles sans signification (ordre, ce que cela représente…), notre perception organise (elle leur donne une forme) ces tâches et ces tracés sur la page d’une seule dimension en leur donnant sens et profondeur. Les tâches et les lignes deviennent les signes représentant un objet : ainsi l’oreille de la demoiselle, prise dans une autre organisation (un autre sens visé), devient-elle l’œil de la vieille femme. Notre regard creuse les données sensibles et les organise.

 

 

 

II) L’interprétation des données sensibles dépend de notre passé, de nos passions, de nos préjugés

   

 

 
         

 

 

Un enfant de 6 ans au lieu de voir un couple voit généralement des dauphins ou une petite fille qui joue (ce qui est figure pour nous est fond pour lui).

Achille Talon pris dans le mouvement de sa peur ne voit dans les signes sensibles qu’un voleur.

Dans la dernière image certains voient le Christ, des communistes Karl Marx, d’autres leur voisin de pallier… Que verrait un papou ?

 

Face à une étrange luminosité dans le ciel, d’aucuns voient un ovni, d’autres un phénomène électromagnétique, d’autres encore ne savent pas ce qu’ils ont vraiment vu… C’est en fonction de ce que nous sommes et de nos affects que nous interprétons le visible.

 

 

Zone de Texte: « Il n’existe pas d’œil innocent. C’est toujours vieilli que l’œil aborde son activité, obsédé par son propre passé et par les insinuations anciennes et récentes de l’oreille, du nez, de la langue, des doigts, du cœur, du cerveau. Il ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et doté de sa propre énergie, mais comme un membre soumis d’un organisme complexe et capricieux. Besoins et préjugés ne gouvernent pas seulement sa manière de voir mais aussi le contenu de ce qu’il voit, il choisit, rejette, organise, distingue, associe, classe, analyse, construit. Il saisit et fabrique plutôt qu’il ne reflète ; et les choses qu’il saisit et fabrique, il ne les voit pas nues comme autant d’éléments privés d’attributs, mais comme des objets, comme de la nourriture, comme des gens, comme des ennemis, comme des étoiles, comme des armes. Rien n’est vu tout simplement, à nu. Les mythes de l’œil innocent et du donné absolu sont de fieffés complices » 
Goodman, langages de l’art.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


III) Pour savoir ce que nous avons vu : se confronter à la résistance du réel

 

 

Hors d’une confrontation à la résistance du réel, nous sommes soumis aux interprétations folles de notre imagination (Hume). Percevoir n’est pas seulement imaginer (Alain). La perception est certes interprétation (et donc imagination) mais à chaque instant nous confrontons nos imaginations à la résistance des données sensibles. Nous ne pouvons percevoir ce que nous voulons. Le fantôme que je vois dans la forêt, je m’en approche et c’est tout autre chose que je vois : ce n’est pas un fantôme c’est une souche d’arbre. Les données sensibles (ce que je vois, ce que je touche…) ne correspondent plus aux hypothèses de mon imagination (il devrait répondre, me donner à voir telle autre face…). Si je m’enfuis je jurerai avoir vu : aussi pour seule preuve de l’existence de ce que j’ai vu il n’y aura que ma peur, la forme de la souche vue sous telle angle et mon imagination qui a tissé sur tout cela. Percevoir, au contraire, c’est douter en se confrontant à la résistance du réel, en se donnant de nouvelles perspectives et toujours mettre en doute ce que notre imagination anticipe de l’objet. Faute d’objet résistant (éclair évanescent, simple image dont on ne peut connaître la cause…) nous sommes réduits à imaginer.