Continuons notre exploration des mondes propres (point de vue de leur conscience) ou des perspectives possibles sur le monde extérieur (rapport de la perception à la chose en soi) qui s'ouvrent à des êtres réellement ou hypothétiquement dotés de sens extraordinaires (Spiderman, Microcosmos, Daredevil, la famille Addams, le seigneur des Anneaux...).
Soit donc Cole, un petit garçon doté d'un terrible "sixième sens", capable de lui faire percevoir ce que les autres ne voient pas, à savoir ici les morts hantant à notre insu le monde des vivants. Autant les analyses précédentes portaient-elles sur des perceptions dont tout à la fois la réalité et la vérité apparaissaient possibles, autant ce dernier type de perception, pour peu que l'on ne croit pas aux fantômes (et nous avons de bonnes raisons de ne pas y croire), apparaît-il comme une pure fiction. Si l'on entend par philosophie une certaine forme de recherche de la vérité, quel intérêt philosophique peut donc bien avoir cet extrait ?
Laissons de côté tant la réalité de la fiction - le fait que cette fiction existe et, que, par jeu, nous nous y laissons réellement prendre - que l'hypothèse que nous pourrions avoir affaire à une perception délirante, perception nous ouvrant sur les inconscients psychiques (et non plus biologiques) de notre perception (sur ce point, cf. extraits et analyses des films Spider de Cronenberg et la maison du docteur Edwards de Hitchcock qui explorent les mondes propres projetés et vécus par, respectivement, un être psychotique et un être névrosé).
Envisageons la chose du côté du réel hors de la conscience, plutôt que de celui de la subjectivité qui l'appréhende : des milliards et milliards de vivants ont réellement existé dans le monde - et ils ont disparu. Plus rien maintenant, en apparence, que le présent sans mémoire. Cet immeuble a été habité deux siècles durant : que reste t'il de ses habitants passés - et, par exemple, du souffle de ce vieux qui peinait à gravir les marches de l'escalier ? Rien en apparence.
Et pourtant, si tout corps vivant est l'expression singulière d'une subjectivité dans le monde, comme l'écho d'une voix, quoiqu'imperceptible, ne s'éteint peut-être jamais mais se mêle peu à peu aux mouvements du monde, n'est-il pas concevable que le corps présent du monde porte la trace ou l'écho de tous ces mouvements exprimant la singularité des subjectivités qui l'ont habité ? C'est bien là l'hypothèse de l'écrivain Patrick Modiano :
"Je crois qu’on entend encore dans les entrées d’immeuble l’écho des pas de ceux qui avaient l’habitude de les traverser et qui, depuis, ont disparu. Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l’on capte si l’on est attentif." (Rue des boutiques obscures, p. 124).