Le rire en perspective
Des bronzés à l'extension du domaine de la lutte
(Voir séquences : les bronzés (SQ1, SQ2, SQ3) - l'extension du domaine de la lutte (SQ1, SQ2))
Première approche - pourquoi ce rapprochement ?
Ces deux ensembles de séquences sont très proches : dans
les deux cas, il s'agit d'un homme au physique ingrat qui désire
ardemment mettre une femme dans son lit et qui toujours échoue.
Et cependant seul le film Les Bronzés appartient au genre
comique, l'Extension du domaine de la lutte étant rien moins que
gai. Pourquoi donc ? Pourquoi le premier nous fait-il rire alors
qu'à l'inverse le second tend à nous serrer la gorge ?
Pourquoi ce qui est, en un certain sens, la même scène
apparaît-elle ridicule et risible d'un côté et de
l'autre fait-elle naître notre compassion ? Tel est l'objet de
mon étonnement - qu'il s'agira ici de réfléchir et
d'éclairer.
Voici ce qu'écrit Henri Bergson (extraits du Rire) sur ce point :
« Dans
une société de pures intelligences on ne pleurerait probablement plus, mais on
rirait peut-être encore ; tandis que des âmes invariablement sensibles,
accordées à l’unisson de la vie, où tout évènement se prolongerait en résonance
sentimentale, ne connaîtraient ni ne comprendraient le rire. Essayez un moment
de vous intéresser à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait, agissez en
imagination, avec ceux qui agissent, sentez avec ceux qui sentent, donnez enfin
à votre sympathie son plus large épanouissement : comme sous un coup de
baguette magique vous verrez les objets les plus légers prendre du poids, et
une coloration sévère passer sur toutes choses »
" Détachez-vous maintenant, assistez à la vie en spectateur
indifférent : bien des drames tourneront à la comédie"
«
Il suffit que nous bouchions nos oreilles au son de la musique, dans un
salon où l’on danse, pour que les danseurs nous paraissent
aussitôt ridicules ». La cause en est que nous sommes isolés « de la musique et du sentiment qui les accompagne ».
Conclusion : l'effet comique suppose une certaine "anesthésie du cœur" - soit une forme d'extériorité (de distance, de détachement) à la scène contemplée.
N'est-ce pas très exactement à ce à
quoi nous avons affaire ici ? D'un côté une vision
lointaine et extérieure de la surface d'un être. De
l'autre non simplement une plongée au coeur de
l'intimité souffrante et désaccordée mais un
subtil aller-retour de la scène extérieure où
transparaît pour notre intelligence la ridicule impuissance d'un
être à la résonance intérieure des
profondeurs de sa souffrance en nous ?
Il conviendrait alors de suivre pas à pas chacune de ses
scènes afin de rendre clair ces jeux singuliers de la
sensibilité et de l'intelligence - et ainsi de mieux comprendre
ces mouvements qui, bien malgré nous, se
déploient en nous.
Sur le sens du rire voir encore ces deux dissertations : 1) Y a t'il une raison du rire ? ; 2) Ne rit-on que par jeu ?