La philosophie : son objet, son but

 

Retour à l’index

Retour à la page précédente

 

Récapitulation : vie quotidienne = vivre dans les réponses; à des questions, cependant, jamais explicitement posées ni travaillées = données par le milieu socio-historique dans lequel nous naissons ; l’interrogation de la raison (cf. cours sur la raison) fait apparaître qu’il y a là illusion de savoir (les prisonniers de la caverne, cf. présentation) – et, mettant en lumière notre non-savoir, ouvre la possibilité d’une quête lucide de la vérité (retournement et cheminement vers la lumière).

 

          Situation première = aliénation. Etre aliéné = être étranger à soi-même : nous ne nous connaissons pas, nous ne savons pas ce que nous croyions savoir.

         Comment, dès lors, se retrouver, retrouver des fondements solides sur lesquels vivre hors de toute illusion?

 

1) Le doute comme premier retour à soi

Que reste t’il pour celui qui, questionnant, remet toutes ses certitudes en jeu ? Tout d’abord le doute même – non pas le doute passif qui n’est qu’impuissance à cerner, vision floue et mouvante mais ce doute actif rationnel qui naît de la question volontairement posée et qui est connaissance des raisons de douter. Or, en ce doute même, se manifeste une puissance qui n’est pas illusoire : la puissance irréductiblement personnelle d’un « je pense », puissance d’interroger et de remettre en cause toutes les évidences. Aussi, comme le montre Descartes en ses Méditations métaphysiques, même si – ainsi que dans Matrix, ainsi que dans les rêves – rien de ce que je pense exister en dehors de moi n’existait, même si encore un malin génie s’évertuait à me tromper alors même que je pense que « 2+2 font 4 », resterait, imprenable et insubstituable, une « citadelle intérieure » (Marc Aurèle), puissance libre de penser, en laquelle je découvre une existence indubitable – « cogito ergo sum » (« je pense (donc) je suis ») savoir avec lequel, dans l’exercice de ma pensée, je coïncide : moi-même, je suis, hors toute illusion possible, sujet pensant c'est-à-dire questionnant.

 

2) L’insatisfaction manifeste notre aliénation – nous ne sommes pas chez nous.

Reste qu’un tel état – mise en doute de toute chose, découverte de soi comme sujet pensant – n’est pas satisfaisant. S’il manifeste, dans le questionnement, la découverte de soi comme liberté originelle, pouvoir personnel de s’arracher à ce qui nous détermine, à toutes nos croyances, il ne cesse de se vivre comme une aliénation dans l’insatisfaction. Comme en une tempête ou un cauchemar, comme Néo libéré de la Matrice - je suis certes protégé sur l’île de ma subjectivité – mais je ne suis pas encore chez moi, je suis pas encore pleinement libre, je me sens insatisfait, aliéné dans l’impuissance réelle de faire coïncider ma pensée, mes désirs et le monde qui m’apparaît dans une insondable étrangeté. Dans la question, dans le doute, se révèle ma liberté, mais je cherche une réponse – et ce n’est qu’en elle que je serais pleinement libre.

 

3) Etymologie de la philosophie

Philo (aimer) – sophia (sagesse) – philosophie = amour de la sagesse. Deux sens de la sagesse – idée du sage = a) celui qui sait (théorie) b) celui qui sait comment bien vivre (pratique). Si philosophie = amour de la sagesse, on «aime ce qu’on n’est pas, ce qu’on n’a pas»  (Platon, Banquet). Le philosophe n’est donc pas, n’a donc pas la sagesse : il la cherche. Reconnaissance de notre situation : a) nous ne connaissons pas la vérité b) nous ne vivons pas bien. Autrement dit : nous sommes aliénés. La philosophie ne vise ainsi rien d’autre qu’une telle sortie de l’aliénation.

 

4) L’aliénation de l’homme

Si être aliéné c’est être étranger à soi-même, il existe cependant différents degrés d’aliénation. 1) Aliénation radicale de l’animalité ou de la folie, qui, totalement hors de soi, est emportement et non connaissance de soi 2) Aliénation relative des hommes qui, selon Freud et Marx, se tissent des dieux ou des idéologies et y obéissent comme à des êtres extérieurs à eux-mêmes - dans l’inconscience de soi qu’est la vie dans l’illusion 3) Aliénation vécue de celui qui, de façon plus ou moins lucide, éprouve dans l’insatisfaction sa propre étrangeté au réel – conscience d’aliénation que réveille l’interrogation philosophique dans le souci d’y voir clair sur le monde et sur soi.

 

Etrangeté à soi-même

Etrangeté aux autres

Etrangeté à sa propre société

Etrangeté à la nature

Il y a en moi des désirs, des idées dans lesquelles je ne me reconnais pas –obscurité de soi à soi.

 

Ce que nous faisons, ce que nous sommes : cet individu défini par tel statut, telle identité – de travail, de famille, de patrie… - ce n’est pas moi.

Identité figée : « je suis employé de banque » : cet individu qui fait ces geste, ces démarches, ce n’est pas moi : au fond de moi une tension, créatrice de rêves, qui refuse cela. De là le désir d’ailleurs, d’aventure, de changement.

 

|

|

 

 

Désir d’être soi-même, de se réaliser

Je me découvre étranger au milieu de autres – mes souffrances, ma vie elle-même dans son bouillonnement – ne sont pas reconnues : on ne me voit jamais tel que je suis, nous sommes séparés par un mur infranchissable. Limite : je ne suis rien pour personne (indifférence) = je ne suis rien. Solitude et épreuve de son propre néant.

 

Je ne me reconnais pas dans les autres – leurs désirs, leurs pensées ne sont pas les miens. Voir Koh-Lanta et pleurer…

 

|

|

 

 

Désir de communion :

Toi et Moi, Nous

Nos espérances n’ont pas de lieu où s’incarner : des damnés de la Terre au mal-être des travailleurs – nous sommes figés dans une identité et un rôle qui ne sont pas les nôtres.

 

Ensuite l’injustice ambiante fait qu’on ne se reconnaît pas, qu’on ne peut faire corps avec l’esclavage humain, la marchandisation et l’exploitation de l’homme par l’homme.

 

Enfin c’est avec le pouvoir politique que l’on fait sécession : ces lois, injustes, ne sont pas les miennes.

 

|

|

 

 

Désir d’un monde commun et juste

Nos projets, nos espoirs sont anéantis par la mort, la maladie, la laideur. Ce corps limité s’oppose à nos désirs et espoirs. Ce corps-là ce n’est pas moi.

 

Le réel échappe à mes prises : des événements imprévus, la matière qui résiste font subir à mes désirs mille déconvenues. « Tu ne peux pas voler » : déception de l’enfant.

 

Le monde échappe aux prises de notre pensée – « je n’y comprends rien » : sentiment d’être perdu dans une forêt sans repères.

|

|

 

 

Désir d’un monde compris et maîtrisé

 

 

                Ce que nous éprouvons c’est l’inadéquation, la scission entre ce que nous désirons (intériorité) et le réel (extériorité), inadéquation qui se manifeste dans notre insatisfaction (angoisse, solitude, mal-être, désarroi, sentiment d’injustice…) signe de notre étrangeté à nous-mêmes, au monde, aux autres et à la société. Quelque chose en nous refuse de telles limites, cherche à se manifester et ne trouve pas d’issue. A rebours de ces aliénations, l’exigence de toute vie = être chez soi. Ernst Bloch = le « Foyer » comme ce lieu où liberté, bonheur et vérité rayonnent dans l’unité.

 

 

Aliénation = scission intériorité / extériorité

 

 


Etre étranger à soi-même                       Etre étranger aux autres                                      Etre étranger à notre société                         Etre étranger à la nature

 

 


                                                                                                               Exigence  contrariée

 

 

Etre soi, se réaliser               Etre Nous : amitié, amour, communauté                               Se reconnaître / institutions et fins sociales         Pouvoir réaliser mes                                                                                                                                                                                        projets

                                                                                                                                                                                                                   Pouvoir connaître        

Fin  ultime

Le Foyer : identité désirs / réel = intériorité / extériorité

Etre chez soi = le sens (direction, valeur, signification) de la vie.

 

 

 

La philosophie peut ainsi être lue et travaillée dans le sens d’une telle quête, quête lucide et éclairée visant, à travers l’analyse de la condition humaine,  la fin de toute aliénation. Par quoi la philosophie peut se définir comme recherche d’une éthique : soit (Spinoza) la quête de la vie bonne sous la norme de la vérité.

 

 

Retour à l’index