Sur la religion

 (religion, vérité, devoir, morale, liberté, raison)

 

 

 

1) Toute religion suppose une division du réel en deux plans hétérogènes : Nature / SurnatureImmanent (sur un plan, ici-bas) / Transcendant (au-delà, sur un autre plan de réalité supérieure) – Profane (profanus = « hors du temple ») / Sacré. Religion : étymologie possible = religare = relier l’un à l’autre – nous relier à l’Essentiel (le Sacré – le Transcendant – la Surnature) soit à ce qui est posé comme étant la réalité véritable (l’essence) qui est indissociablement valeur suprême (l’essentiel). L’athéisme (a = absence de / dieu(x)) est, au contraire, cette position philosophique consistant à soutenir que la réalité existe sur un seul et unique plan = la nature ou l’immanence.

 

 

2) Ce qu’est cette Surnature est racontée dans les mythes (histoires – et non théories – racontant l’origine de notre monde, de nos valeurs et le sens que nous devons donner à nos vies). Ex. Coran – Evangiles – Torah… Dans une religion vivante les mythes s’incarnent dans la chair du réel (le temps et l’espace social, mon corps, mon existence) par le biais des rites (ex. la communion, le ramadan, le repos du dimanche, etc.) pensables comme un jeu d’acteur par lequel les hommes reproduisent et ainsi vivent dans le temps de leur vie l’histoire, sans cela désincarnée, du mythe. Parce que l’Essentiel (ce qui vaut, ce qui est, ce qu’il faut faire) précède l’homme religieux, la vie religieuse est, idéalement, non pas création mais répétition du Modèle (imiter Jésus, Mahomet, etc.)..

 

« Pour l’homo religiosus, l’essentiel précède l’existence. Ceci est vrai aussi bien des sociétés « primitives » et orientales que pour le juif, le chrétien, le musulman. L’homme est tel qu’il est aujourd’hui parce qu’une série d’événements ont eu lieu ab origine. Les mythes lui racontent ces événements et, ce faisant, lui expliquent comment et pourquoi il a été constitué de cette façon. Pour l’homo religiosus l’existence réelle, authentique, commence au moment où il reçoit la communication de cette histoire primordiale et en assume les conséquences ».

                   Mircea Eliade, Aspects du mythe, p. 116

 

 

 

3) L’histoire nous montre cependant la naissance et la mort des dieux. Les mille temples dans lesquels on priait et sacrifiait aux dieux, les statues devant lesquelles on pliait le genou… ne sont plus que ruines n’ayant désormais de valeur qu’historique (cf. scène des Invasions barbares de Denys Arcand) ou touristique. Auparavant, espace de communication avec l’Essentiel, leur valeur était sacrée, soit sans commune mesure avec quelque réalité de ce monde (non monnayable, par conséquent).

 

 

 

 

 

Scène des invasions barbares de Denys Arcand

 

Les anciens saints, relégués dans une cave loin des églises désertées, parce que plus personne n’est là

pour leur donner la vie, sont morts, recouvert d’un voile de plastique tout ainsi qu’en une morgue.

 

 

 

 

Ruine d’un temple au Laos

 

 

Ce pourquoi Nietzsche, anticipant la désertification des églises peut faire dire à son Zarathoustra que « Dieu est mort » (Ainsi parlait Zarathoustra) – les miracles religieux apparaissant bientôt naïvement ridicules (cf. par ex. comment on se rit du miracle de l’ouverture de la mer rouge par Moïse dans Bruce tout-puissant (2003) de Tom Shadyac) à ceux qui, revendiquant la liberté contre toute forme de répétition des modèles historiques (« Ni Dieu, ni maître » selon la formule de l’anarchiste Blanqui) se pensent et se vivent comme éclairés par la seule lumière de la raison.

Ce que les hommes ont posé pour transcendant ne serait ainsi rien d’autre qu’un produit de l’immanence. Les hommes s’agenouilleraient devant leur propre création sans savoir qu’elle est la leur. Ainsi certains rient-ils des religions comme on rirait d’un enfant (cf. 4 et 5) pris de folie qui, dessinant un éléphant rose, oublierait qu’il en est le créateur et se prosternerait devant lui – se prosterner devant Ganesh reviendrait ainsi, dans une forme d’illusion pitoyable et délirante, à se prosterner devant un mélange subtil de Babar et des Barbapapa.

 

 

                                       

Ganesh (dieu indien)                                                    Babar                                                      Les Barbapapa

 

Si une telle position apparaît délirante c’est que c’est le propre de la folie de prendre l’imaginaire pour le réel – extérieur à un tel délire, comme Tintin plongé au milieu d’une société Inca dans Le temple du soleil d’Hergé, nous savons qu’ils s’agit d’une fiction et qu’en ce sens, jouant parfaitement le rôle que leur prescrit le mythe, en fait de script ou de scénario, comme le dit Tournesol, les Incas (se) font du cinéma (Cf. http://tagetalex.free.fr/Tintin2.htm). Mais, parce que l’origine de la fiction est inassignable, qu’elle se confond avec la puissance qui génère la société entière et que les individus, plongés en elle et fait par elle, ne peuvent percevoir, leur folie est une folie collective qui est, peut-être, la « démence ordinaire » de l’humanité (N. Grimaldi) (folie des « gens normaux » (c’est-à-dire normés) s’opposant à celle, privée, du psychotique, présent en toute société) : l’homme religieux (se) ferait du cinéma, mais du cinéma inconscient de soi

 

« Les produits de l’homme (objets ou institutions) prennent face à lui une existence sociale indépendante, et au lieu d’être dominés par lui, le dominent. La « soumission [de la société] à une « loi de l’autre » est auto-aliénation, occultation à elle-même de sa nature historique et auto-créatrice »

                                                                                                                                                                                         Cornelius Castoriadis

 

 

4) Selon Auguste Comte les formes religieuses appartiendraient à un stade infantile de l’histoire de l’humanité – histoire à penser comme un développement de l’enfance vers l’âge adulte, celui d’une liberté enfin consciente d’elle-même et maîtresse de soi (âge des lumières de la science – le nôtre). L’état d’enfance de l’esprit se caractérise, en effet, par la projection aveugle des formes de l’imagination sur le monde étranger et irréductible (ainsi le petit enfant – et l’enfant en nous - tape t’il la table sur laquelle il s’est cognée comme si elle était, à notre image, douée d’une âme faite de volonté et de sensibilité). En simplifiant (et ainsi nous éloignant quelque peu des stades propres élaborés par Comte) distinguons, à notre tour, trois grandes étapes :

 

a)     Ce qu’on peut appeler un anthropomorphisme de premier genre : soit la projection des formes humaines visibles et sensibles sur la nature entière comme si elle avait quelque proportion avec nous. Xénophane : « Si les bœufs et les lions avaient des mains et pouvaient peindre comme le font les hommes, ils donneraient aux Dieux qu'ils dessineraient des corps tout pareils aux leurs, les chevaux les mettant sous la figure de chevaux, les bœufs sous la figure de bœufs. ». D’où : idée d’un dieu invisible qui échappe aux figures humaines. Même critique de la part des grandes religions monothéistes. « Tu ne tailleras pas d’image de Dieu » (Bible). Tailler une image de Dieu = faire de l’infigurable une figure de ce monde – impossible dans le judaïsme comme dans le monde musulman. Risque = en effet, l’idolâtrie : cf. l’épisode du veau d’or (L’Exode) – adoration d’une forme limitée de ce monde (un veau d’or) et non du créateur (Dieu). Différence d’essence, par conséquent, entre les créatures (visibles, temporelles) et le Créateur (invisible, éternel).

 

b)     Un anthropomorphisme de second genre : ces dernières religions n’en sont pas moins, selon Spinoza, des anthropomorphismes – certes, on ne confond plus Dieu avec les formes visibles et limitées de ce monde mais on continue à projeter sur lui, des formes humaines, celles, invisibles, de ses désirs, affects et pensées : un Dieu qui aime, hait, projette, etc.

 

c)     Le stade rationnel, libéré de l’anthropomorphisme : selon Spinoza (l’Ethique), Dieu ne serait qu’un autre nom de la Nature (car, elle aussi, dotée des attributs que l’on donne à Dieu : infinie, toute-puissante et éternelle) mais une Nature qui ne veut, ne projette, n’aime, ni ne désire rien… Le Dieu transcendant disparaît alors pour laisser faire place à l’immanence d’une Nature éternelle et infinie. Se rendre compte qu’il n’y a pas de dieux (et donc ni valeurs, ni sacré supérieurs) transcendant l’existence serait ainsi sortir de l’enfance toute entière gouvernée par le désir et l’imagination (par essence projectifs = projetant sur le réel leur propre loi intérieure) pour considérer le monde selon la seule lumière (distante, objective, affectivement neutre) de la raison. Telle serait la loi du passage des âges des ténèbres aux Lumières.

 

 

5) Si la religion est à comprendre comme anthropomorphisme infantile (et, corrélativement, anthropocentrisme) comment comprendre alors que des êtres intelligents, à des âges évolués de l’humanité, continuent cependant à croire en l’existence d’une véritable transcendance ? C’est que, selon Marx, Nietzsche et Freud notamment, le fondement de la croyance religieuse ne serait pas à rechercher simplement dans une forme d’ignorance et de méconnaissance infantile de la Nature mais dans les puissances obscures du désir. Les religions seraient une production de l’imagination visant à s’échapper d’une réalité douloureuse. Nietzsche : les ratés de la vie se créent des mondes irréels où ils pourraient vivre. Freud : le désir infantile d’être protégé trouve sa solution dans l’amour du Papa céleste. Marx : la misère matérielle de la société trouve sa solution dans l’espace irréel de la justice céleste. « Les derniers seront les premiers » (Evangiles) – mais dans un autre monde, en attendant il faut souffrir dans celui-ci. La religion serait ainsi « opium du peuple » (Marx) : tout à la fois drogue permettant de se soulager et de s’évader et abrutissant le peuple en l’empêchant de prendre en main les rênes de sa vie par la révolution (détruire les chaînes réelles de l’oppression = la détention du pouvoir effectif par les exploiteurs dominant).

 

« Une fois que l’on eut inventé le concept de « nature » pour l’opposer en tant que tel à celui de « Dieu », « naturel » ne peut que devenir l’équivalent de « condamnable » : ce monde de fiction a tout entier sa racine dans la haine de la nature (de la réalité)… Mais cela explique tout. Le seul qui ait besoin de mentir pour s’évader de la réalité, qui est-il ? Celui qui en souffre. Mais souffrir de la réalité signifie être soi-même une réalité manquée… La prépondérance des sentiments de déplaisir sur les sentiments de plaisirs est la cause de cette religion, de cette morale fictives ; or, c’est cette prépondérance qui fournit la formule de la décadence… »                                                                                                    

Nietzsche, L’antéchrist, § 15

 

« Les idées religieuses, qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées non réalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres du temps et le lieu où les désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ses énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un énorme allègement pour l'âme individuelle de voir les conflits de l'enfance - conflits qui ne sont jamais entièrement résolus - lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous »                                                                                             

Freud, L’avenir d’une illusion

 

« La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour un autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoins d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.

La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel. »

Marx, Critique du droit politique hégélien

 

 

 

6) Et pourtant, la mise en cause d’une telle illusion n’enlève peut-être pas tout sens à l’idée de religion :

 

. Distinction de Kant entre (vraie) « religion » et simple croyance. La « croyance » religieuse = la simple répétition de l’arbitraire socio-historique des mythes (et, par conséquent, des rites) inventés, répétition prenant parfaitement appui sur les mécanismes du désir décelés plus haut. Si la plupart des hommes professent telle dite « religion », suggère alors Kant, ce n’est que parce qu’ils sont nés ici et répètent en sujets sociaux et désirant l’arbitraire des idées fondatrices de leur propre société. La « vraie religion », au contraire, ne serait pas accessible immédiatement. Elle serait toute entière fondée sur l’exigence morale.

 

 « Il n'existe qu’ une « religion » ; mais il peut exister beaucoup d'espèces de "croyances" (…). Par ce terme l'homme du peuple  entend toujours sa foi d'église qui lui tombe sous les sens, tandis que la religion se cache intérieurement et dépend d'intentions morales ; à la plupart des gens on fait trop d'honneur en disant d'eux: ils professent telle ou telle religion; car ils n'en connaissent et n'en demandent aucune. »

 Kant, La religion dans les limites de la simple raison

 

 

. Conception similaire chez Emmanuel Levinas : c’est à travers l’injonction morale de porter secours à autrui que se révélerait le sens véritable de la religion. Opposition lévinassienne du religieux au « numineux » (qui saisit l’individu, perdant le sentiment de son moi, dans celui d’une puissance venant d’ailleurs – cf. la transe sacrée) : alors que la (vraie) religion supposerait l’éveil (à ce réel qu’est la réalité souffrante de l’autre) au cœur de ma subjectivité (et seraient donc, en ce sens, sœur et non ennemie de la raison), la relation « numineuse » supposerait, au contraire, une extinction des frontières du moi et un endormissement de la conscience comme mise hors de soi (cf. par ex. les rites sacrificielles en hommage à Kâli dans Indiana Jones et le temple maudit (1984) de  Spielberg). Voilà pourquoi (parce qu’éteignant la conscience et, avec elle, la lumière de la raison) une telle relation au « numineux » est essentiellement violence – et c’est de cette confusion (de l’esprit ; de la religion avec le numineux) que viendraient les violences dites - à tort ? - « religieuses » de l’histoire.

 

 « Pour le judaïsme, le but de l’éducation consiste à instituer un rapport entre l’homme et la sainteté de Dieu et à maintenir l’homme dans ce rapport. Mais tout son effort – de la Bible à la clôture du Talmud au 6ème siècle, et à travers la plupart de ses commentateurs de la grande époque de la science rabbinique – consiste à comprendre cette sainteté de Dieu dans un sens qui tranche sur la signification numineuse de ce terme, telle qu’elle apparaît dans les religions primitives où les modernes ont souvent voulu voir la source de toute religion. Pour ces penseurs, la possession de l’homme par Dieu, l’enthousiasme, serait la conséquence de la sainteté ou du caractère sacré de Dieu, l’alpha et l’oméga de la vie spirituelle. Le judaïsme a désensorcelé le monde, a tranché sur cette prétendue évolution des religions à partir de l’enthousiasme et du sacré. Le judaïsme demeure étranger à tout retour offensif de ces formes d’élévation humaine. Il les dénonce comme l’essence de l’idolâtrie.

 Le numineux ou le sacré enveloppe et transporte l’homme au-delà de ses pouvoirs et de ses vouloirs. Mais une vraie liberté s’offense de ces surplus incontrôlables. Le numineux annule les rapports entre les personnes en faisant participer les êtres fut-ce dans l’extase, à un drame dont ces êtres n’ont pas voulu, à un ordre où ils s’abîment. Cette puissance apparaît au judaïsme comme blessant la liberté humaine, et comme contraire à l’éducation de l’homme, laquelle demeure action sur un être libre. Non pas que la liberté soit un but en soi. Mais elle demeure la condition de toute valeur que l’homme puisse atteindre. Le sacré qui m’enveloppe et me transporte est violence »                                              

  Lévinas, Difficile liberté, p. 32 – 33

 

 

. Pour Ernst Bloch, à son tour, il faut distinguer deux sens bien précis de la religion dans l’histoire de l’humanité : à des religions adoratrices de l’ordre du monde – à laquelle la formule marxienne d’  « opium du peuple » conviendrait, parfaitement – il faudrait opposer le militantisme actif de « religions de l’opposition » au nom de la Justice. Telle serait l’invention de la religion mosaïque (= de Moïse). Loin donc d’être violence, abrutissement et appel à la passivité – la véritable religion (Kant, Lévinas) ou le sens historique véritable de la religion (E. Bloch) serait ainsi essentiellement appel à la morale, l’éveil et l’action au nom de la Justice.

 

« Moïse est  à l’origine d’une cassure dans la conscience religieuse, et cette cassure fût préparée par un évènement qui est aux antipodes mêmes des religions antérieures, celles de la dévotion au monde ou au mythe astral : la rébellion, la sortie de l’Egypte. (…) le premier créateur d’une religion à laquelle il donna son nom, une religion de l’opposition (…). Un peuple réduit en esclavage : telle est la détresse, tel est le point de départ de la prière. Puis un fondateur entre en scène, qui commence par abattre un représentant de la tyrannie. Au départ il y a donc la souffrance et l’indignation, qui transforment aussitôt la foi en chemin conduisant à la liberté. Grâce à Moïse le dieu du Sinaï, repris aux Cénites, ne reste pas la divinité locale du volcan, il devient l’esprit de l’Exode. (…)  C’est par l’intervention de Moïse que s’est transformé le contenu du salut qui, dans les religions païennes, astrales-mythiques surtout, consistait encore en un but entièrement achevé et extérieur. Or, à la place de ce but achevé surgit désormais un objectif promis, qu’il s’agit d’abord de conquérir, tandis que le dieu visible de la nature est remplacé par un dieu invisible de la justice et du règne de la justice »                                                                                                                                              

Ernst Bloch, Le principe espérance, 3, p. 385 et suiv.

 

 

7) Mais pourquoi cependant parler encore ici de religion – et pas simplement, par exemple, de simple compassion ou de valeur morale (ni transcendante, ni sacrée) ? (pas besoin de « bon Dieu », apparemment, pour ne pas être un salaud – l’ordre de la morale, selon une pensée essentiellement kantienne, puisque en droit affranchi de toute forme d’espoir (en un autre monde, le royaume des Justes comme espérance et récompense divine) semblant indépendant de toute forme religieuse)

 

. C’est qu’on ne peut, semble t’il et tout d’abord, penser l’expérience morale telle qu’elle est vécue dans ses profondeurs, sans utiliser un vocabulaire religieux : « l’effroi - l’horreur » devant le déterrement d’un mort, la « souillure » faite à un cadavre ou un vivant comme véritable « sacrilège » ; a contrario caractère sublime (irréductible à, + haut, + grand) de la « sainteté », nécessité du « sacrifice », etc.

Ce qui pourrait être lu comme la simple transposition de métaphores inventées à l’ère religieuse sur une réalité étrangère au sacré (celle bien naturelle de la compassion ou de la sympathie), peut, peut-être, tout au contraire, être lu comme le seul langage pleinement adéquat au caractère dramatique de la vie. A se mettre à l’écoute de l’horreur propre d’un cri de souffrance comme appel à mon insubstituable responsabilité de prendre en charge cette vie en lui venant en aide, le langage ordinaire, distant et comme dédramatisé de « l’injustice », de « la peur », de « la douleur », de « la méchanceté », ou, a contrario, du « type bien », etc. – ou, encore plus distant, celui théorisant l’aliénation du sujet par des normes morales engendrant en lui culpabilité et remords (Freud, Nietzsche) – n’apparaît-il pas comme à la fois trop pauvre et abstrait pour dire l’évènement, et, pour le second, abject et déresponsabilisant, rationalisant une fuite

devant le devoir (devant lequel, en effet, l’ego cherche à toute jambes à fuir) ?

 

. Cette méprise structurelle de la théorie – pouvant, de par son esprit de distance qu’elle brandit en vertu, rendre irréel le réel et réel l’irréel – Rousseau la pense en opposant un supposé « état naturel » comme vie affective à l’écoute de l’intimité souffrante des êtres (comme une certaine part d’enfance  – celle qui vient en aide aux petits oiseaux, l’adulte disant « ce n’est qu’un oiseau » ; en mettant de côté, l’autre aspect de l’enfance qui est violence tyrannique – celle qui arrache leur ailes !, l’adulte apparaissant ici comme celui qui rappelle au réel – « et si on te faisais pareil… »), d’un état culturel de plus en plus éloigné de la nature (à entendre ici comme la réalité profonde en deçà de l’artifice qui la recouvre et masque) (peu importe ici que, pour Rousseau, il s’agisse aussi d’un état  historiquement antérieur – ce qui nous importe pour le moment est la mise en lumière de l’idée d’une profondeur actuelle du réel que certaines expériences, celle de la pitié, par ex. – pourrait nous révéler – en deçà des errances d’une (au moins) certaine culture) :

 

«  La commisération sera d'autant plus énergique que l'animal spectateur s'identifiera intimement avec l'animal souffrant. Or il est évident que cette identification a dû être infiniment plus étroite dans l'état de nature que dans l'état de raisonnement. C'est la raison qui engendre l'amour-propre, et c'est la réflexion qui le fortifie ; c'est elle qui replie l'homme sur lui-même ; c'est elle qui le sépare de tout ce qui le gêne et l'afflige : c'est la philosophie qui l'isole ; c'est par elle qu'il dit en secret, à l'aspect d'un homme souffrant : péris si tu veux, je suis en sûreté. Il n'y a plus que les dangers de la société entière qui troublent le sommeil tranquille du philosophe, et qui l'arrachent de son lit. On peut impunément égorger son semblable sous sa fenêtre ; il n'a qu'à mettre ses mains sur ses oreilles et s'argumenter un peu pour empêcher la nature qui se révolte en lui de l'identifier avec celui qu'on assassine. L'homme sauvage n'a point cet admirable talent ; et faute de sagesse et de raison, on le voit toujours se livrer étourdiment au premier sentiment de l'humanité. Dans les émeutes, dans les querelles des rues, la populace s'assemble, l'homme prudent s'éloigne : c'est la canaille, ce sont les femmes des halles, qui séparent les combattants, et qui empêchent les honnêtes gens de s'entr'égorger. »                  

Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité

 

 

. Pour penser la nature structurellement inadéquate d’un certain langage pour penser l’expérience morale, il nous faut revenir sur l’origine de notre connaissance. Cette connaissance qui commence par projeter son objet dans l’espace affectivement neutre de la représentation (présentation d’un objet devant soi), connaissance qui commence avec la perception ordinaire cherchant à emmailler son objet dans ses catégories comme une forme sur un fond (« est-ce une pomme ou une poire ? ») et se continue à travers le langage (ordinaire puis théorique) n’est pas, selon Bergson, le tout de la connaissance. A ce type de connaissance s’oppose, en effet, une relation de connaissance compréhensive tentant par sympathie de coïncider avec les lignes de vie qui se déploie au dehors. Si le premier regard est fils de l’intelligence, le second l’est du sentiment non pas compris comme subjectivité relative enfermée en soi mais comme mode de lecture du réel. C’est ce second mode de connaissance que déploierait l’art : une musique, par exemple, n’est-elle pas plus apte à dire la vérité dramatique d’un amour que la simple description objective de la chose (« ils s’aiment, ils s’embrassent, etc. » - quelle pauvreté ! Quelle distance vis-à-vis de l’intensité de ce qui se vit !) – c’est que la musique peut épouser et déployer des lignes de vie qui se jouent dans les profondeurs du réel (Schopenhauer, Bergson) (cf. cours sur l’art). De la même manière, la description par le poète de l’enfance comme « un ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère » (Victor Hugo) ne touche-t-elle pas à une autre profondeur que toutes les descriptions objectives de l’enfance ? Aussi faut-il ici distinguer deux usages du langage : a) un usage descriptif et analytique visant l’efficacité de l’action et/ou la connaissance objective (donc extérieure) de la chose. Ex. « passe-moi le sel qui est à ta droite », « le sel  est un concentré de telle ou telle molécule… » ; b) un usage poétique visant non à gonfler le réel de sentiment qui lui sont étrangers (ce qui est toujours possible) mais, à travers le détour de la métaphore, nous entraîne à épouser des lignes profondes de la vie réelle.

. A ce titre, un certain langage religieux ne peut-il être assimilé à ce dernier type de connaissance ? Ne gagnerions-nous pas énormément à tenter de relire de cette manière les textes dits « religieux » - non en cherchant, par conséquent, à les lire de façon littérale comme un texte ayant vocation à l’objectivité (objectivité pensable comme l’espace neutre et distant de ce qui est dit) mais en cherchant les lignes profondes d’expériences vécues qui se disent et cherchent à se traduire à travers eux ? Quelle vérité potentielle, par exemple, se cache derrière l’affirmation de Saint-Paul, « vous êtes le temple de Dieu » (Epître aux Corinthiens) ? Que, par-delà toutes les formes matérielles du monde, formes dans lesquelles l’humanité antérieure avait figuré le sacré au risque de l’idolâtrie (cf. 4.a), le nouveau sacré c’est l’humain. Mais pourquoi ? Lévinas : car, par delà les formes visibles du monde (les temples bien réels, la race, la stature, le statut…) et tous les filets objectifs dans lesquels nous voudrions réduire et prendre l’autre homme (l’exploitation – cf. Marx, le symptôme – cf. La Belle verte et M.Foucault, l’arnaque etc.), si nous nous mettons à l’écoute de (ce) qui se rencontre, il y a de l’infini au fond de ces pupilles.  

 

L’homme est cette nuit, ce néant vide qui contient tout dans sa simplicité ; une richesse d’un nombre infini de représentations, d’images dont aucune ne surgit précisément à son esprit ou qui ne sont pas toujours présentes. C’est la nuit, l’intériorité de la nature qui existe ici : le Soi pur. Dans des représentations fantastiques, il fait nuit tout autour ; ici surgit alors une tête ensanglantée, là une autre figure blanche ; et elles disparaissent tout aussi brusquement. C’est cette nuit qu’on aperçoit lorsqu’on regarde un homme dans les yeux : une nuit qui devient terrible ; c’est la nuit du monde qui nous fait alors face. La puissance de tirer de cette nuit les images, ou de les y laisser tomber, c’est cela le fait de se poser soi-même, la conscience intérieure, l’action, la scission (Hegel).

 

 

                       

                  

 Géricault, La folle                                                                                         Giacometti, Portrait de Diego (détail)

 

 

 

De l’infini : tout à la fois, un sans fond ouvrant sur une infinité de mondes possibles (alors que les mondes animaux, pour aussi irreprésentables qu’ils soient nous semblent bien fermés), polarisés par un désir à son tour infini, à jamais cachés derrière l’incommensurable de ces pupilles-là – me signifiant que dans cet univers-là je ne pourrai jamais pénétrer (car « nul jamais n’a pu ou ne pourra briser cette invisible barrière qui met les êtres dans la vie aussi loin l’un de l’autre que les étoiles du ciel » (Maupassant)). Autrement dit : quelque chose en lui transcende la nature – soit le donné extérieur, ce qui est simplement-là devant moi - laissant pressentir, pour qui est à l’écoute, une dimension irréductible aux simples choses – dont la violation serait sacrilège.

 

« Le violent ne sort pas de soi. Il prend, il possède. La possession nie l’existence indépendante. Avoir c’est refuser l’être. La violence est souveraineté mais solitude. Subir la violence dans l’enthousiasme et l’extase et le délire, c’est être possédé. Connaître, c’est percevoir, saisir un objet – et fût-il homme ou groupe d’homme – saisir une chose. Toute expérience du monde est en même temps expérience de soi, jouissance de soi : elle me forme, elle me nourrit (…). Seule la vision du visage où s’articule le « Tu ne tueras point » ne se laisse pas retourner en satisfaction qui en résulte, ni en obstacle trop grand, s’offrant à notre pouvoir. Car, en réalité, le meurtre est possible. Mais il est possible quand on n’a pas regardé autrui en face. L’impossibilité de tuer n’est pas réelle, elle est morale. Le fait que la vision du visage n’est pas une expérience, mais une sortie de soi, un contact d’un être autre et non pas simplement sensation de soi, est attesté dans le caractère « purement moral » de cette impossibilité. Le regard moral mesure, dans le visage, l’infini infranchissable où s’aventure et sombre l’intention meurtrière. C’est pourquoi précisément il nous conduit ailleurs que toute expérience et que tout regard. L’infini n’est donné qu’au regard moral : il n’est pas connu, il est en société avec nous. Le commerce avec des êtres qui commence avec le « Tu ne tueras point » n’est pas conforme au schéma de nos relations habituelles avec le monde : sujet connaissant ou absorbant son objet comme une nourriture, besoin qui se satisfait. Il ne retourne pas au point de départ, se muant en contentement, en jouissance de soi, en connaissance de soi. Il inaugure la démarche spirituelle de l’homme. Une religion pour nous ne saurait se placer sur une autre voie »

Lévinas, Difficile liberté, p.  25-26

 

 

L’objectivation ou chosification de l’humain ou ce que devient l’autre pour nous lorsque nous nous coupons de la relation au fond pathétique et dynamique de sa vie profonde, fond à jamais inapparent mais que l’on peut pressentir en creux au fond de ses pupilles, malgré toutes les postures et caricatures dans lesquelles il s’enferme. Socrate à Alcibiade : tu n’es pas ce que tu crois être (enfermement dans une forme et des buts finis), tu es bien plus, bien davantage (être de désir, polarisé par l’infini) (cf. http://tagetalex.free.fr/Alcibiade%20partie%201.htm)

 

 

Or cette notion de transcendance, d’ « autre dimension » qui se révèle comme « sacrée » - m’appelant ou me donnant l’ordre au travers de l’expérience du devoir de lui sacrifier mes soucis naturels - appartient tout entière au champ religieux. Dans l’expérience du devoir – par laquelle je suis comme réveillé de mon endormissement dans mes soucis naturels devant, d’un seul coup, prendre en charge l’autre existence qui se révèle comme existant (alors qu’auparavant il n’était qu’une ombre ou un être saisi et réduit par mes catégories) et m’appelant à l’aide - se révélerait le sens profond de la religion comme appel à sacrifier les soucis naturels de l’ego pour cette autre dimension en hauteur qui se révèle dans la fragilité (du point de vue du monde) de l’autre.

Pour un exemple appliqué au cas de « Saint » John Mac Lane dans Die hard IV, cf. http://copranea.free.fr/diehardsaintete.htm

 

 

A ce titre, par conséquent, un certain langage religieux pourrait bien être le mode le plus adéquat de connaissance des vérités essentielles. Mais lesquelles et comment, plus précisément ?

 

 

8) C’est peut-être à comprendre plus profondément le sens de notre expérience – et, par là, de la religion - que pourrait nous aider la lecture de Bergson. Les deux sources de la morale et de la religion : toute religion se caractérise par un sens de la transcendance, soit de ce qui ne saurait se réduire à l’ordre immanent de la nature. Selon lui, en effet, quelque chose comme une véritable transcendance existe, soit une différence constitutive entre, reprenant un vocabulaire spinoziste, ce qu’il appelle la « nature naturée » c’est-à-dire l’ensemble des créatures (qui n’ont pas en elles-mêmes le principe de leur être) et la « nature naturante », soit la source créatrice à l’origine des créatures (cf. ce lien pour une justification : l’évolution du vivant ne saurait être le fruit du hasard, le sens de la vie serait, essentiellement, le mouvement par lequel les vivants se développent en complexité et en liberté de par la puissance créatrice de cette source en acte appelée Vie). Un chat et une souris, sont, par ex., des créatures se comportant dans l’ignorance vis-à-vis de leur source créatrice : fermeture sur soi et sa propre espèce ; aveuglement sur le caractère crée et donc second de ces réalités (mon espèce, moi) par rapport à la source créatrice ; ennemies l’une pour l’autre, ignorante de leur rapport de fraternité / la source créatrice ; caractère figé et répétitif de ces formes vivantes / caractère créateur de la Source. Avec l’homme toutefois, surgit un être capable d’ouverture : tout à la fois, capable de saisir son caractère créé et, par là, la Source créatrice (contemplation) et, à son tour, comme se « branchant » directement sur cette dernière, capable de création (action). L’homme est, en ce sens, cet être en qui réside cet infini (pensé, différemment, par Hegel et Lévinas) soit cet in-enfermable dans des formes finies (limitées) parce qu’en lui une « nature naturée » (une créature) rejoint la « nature naturante » (la source créatrice).

 

-         L’illusion principale des religions que Bergson nomme « statiques » est, tout en nommant la source, de se couper d’elle en s’enfermant dans un imaginaire clos, coupant derechef l’humanité en humanités distinctes et ennemies. Une histoire des religions peut, dès lors, être lue comme la brisure de la clôture des formes religieuses antérieures et l’avènement de formes à prétention universelle. Aussi – par delà leur retour au statisme dans les rites et paroles figées, quasi-chosification qui menace, dès l’origine, tout vivant – seraient-elles sur la voie de la vérité. Ainsi Bergson nomme t’il « religion dynamique » tout à la fois cette pensée contemplative de la source vivante qui ne l’enferme pas dans les limites d’un imaginaire humain et cet appel à l’action créatrice (et non à la répétition de modèles – qui est le propre des « religions statiques ») qui est conscience de la nature humaine comme capable et ayant à continuer l’œuvre de la création.

 

-         On pourrait comprendre par là que par-delà la clôture des subjectivités – enserrant chaque monde et chaque souffrance dans l’enceinte impartageable de son ego -  puisse s’éveiller le sentiment fraternel d’une vie commune – tel est, par excellence, l’expérience morale de la pitié (Rousseau, Schopenhauer) ou du devoir, qui révèlerait notre communauté substantielle en tant que créatures de la vie en qui la source est vivante et ouverte. Car, écrit Bergson, « le feu qui est au centre de la terre [cad la source vivante] n'apparaît qu'au sommet des volcans [c’est-à-dire au sommet de l’évolution]. » (Bergson, La conscience et la vie). Que les humains puissent dès lors s’appeler « frères » n’est nullement une absurdité.

 

-         S’éclairerait ainsi le sens de ces affirmations chrétiennes selon lesquelles par exemple, chaque injustice sur Terre, est un « nouveau clou dans le corps du Christ ». Si, nous appelons, en effet, « Christ », la Vie qui vit en nous en lien direct avec la Source, toute violence faite à l’autre ne le touche pas seulement lui, mais aussi, en profondeur, la source vivante et nous-mêmes, dans la mesure où nous sommes, dans un lien de fraternité, reliés à elle.

 

-         Aussi le sens de la religion serait-il le sens de la vie (ce qui continue et que vise l’évolution), soit la constitution d’une communauté d’être créateurs – soit, ce que Marx a parfois lu comme étant le communisme et le sens de l’histoire. Le communisme comme idée religieuse – telle est la lecture que Michel Henry fait, par ex., de Marx.

 

-         Plus largement, c’est devant toute forme de vie que devrait peut-être s’éveiller notre respect – non matière brute utilisable à souhait par nos désirs aveugles – mais, déjà, création et forme où perce le génie de la source vivante. Peut-être pourrions-nous ainsi comprendre nos sentiments de répulsion comme autant d’appréhension de degrés de sacrilège selon la plus ou moins grande proximité des êtres sacrifiés à la source vivante : de la destruction d’une œuvre d’art à celle d’un produit courant, fruit du travail vivant d’un homme, des tortures des animaux jusqu’à l’arrachement des feuilles d’un arbre… Loin d’être des formes délirantes d’anthropomorphisme, les formes religieuses primitives qui considèrent les végétaux et les animaux non comme de simple choses mais comme des êtres avec lesquels on se doit d’échanger sur le mode du don / contre-don, ne sont-elles pas déjà travaillées par le sentiment de cette communauté dans la source de Vie ?

 

Telles sont, en tout cas, les quelques perspectives – dont on ne peut pas vraiment dire qu’elles suivent les sentiers battus - qu’ouvre la pensée d’Henri Bergson…