La conscience est-elle une connaissance (de soi, du monde) ?

 

 

. Rappel – première partie : conscience = distance et liberté / nature (extérieure et intérieure). Conséquence : si tout homme a une telle conscience, tout homme = immédiatement et spontanément libre et connaissant. C’est ce qu’il nous semble : transparence et évidence (je me connais, je connais le monde – tout = sans question, évident, cf. cours d’intro).

. Pb : la conscience est-elle une effective connaissance (de soi et du monde) ? Sommes-nous (et le monde est-il) tels que nous en avons conscience ?

. Or - rappel cours d’intro – derrière le sentiment d’évidence et de transparence (mes désirs, mes goûts, mes idées) l’interrogation (socratique) fait apparaître l’obscurité : incapables de rendre compte et raison de ce qui nous semblait évident, nous devons conclure que nous ne savons pas ce que nous croyions savoir. La conscience ne serait donc que l’illusion d’une connaissance (savoir ce que les choses sont vraiment = en elles-mêmes) et sa liberté qu’une apparence de liberté (puisque guidée à son insu par autre chose que soi).

. Pourquoi et comment ? Conditions, limites et remèdes d’un tel aveuglement paradoxal (obscurité et non-liberté / apparence de clarté et de liberté) ?

. Concept d’inconscient : l’inconscient (substantif). a) non absence de conscience (être inconscient – coma, sommeil) ; b) non tout ce qui échappe à la conscience (infrarouges, galaxies, atomes…) ; c) mais un ensemble de forces qui, hors du champ de la conscience, la déterminent à son insu.

. Trois types d’inconscients : a) biologique ; b) psychique (le sens convenu du mot inconscient) ; c) social.

. Méthode ici : faire émerger ces concepts en partant du point de vue immédiat de la conscience sur elle-même et en montrant pourquoi et comment un tel point de vue peut être pensé comme illusoire.

 

 

1) Le point de vue de la conscience est un point de vue illusoire - considérations générales

(Conscience, perception, vérité, raison et réel, interprétation, liberté, matière, esprit, vivant)

 

a) Les illusions de la conscience perceptive

 

. Soit une main consciente (la « chose ») de La Famille Addams (B. Sonnenfeld). Question : quelle peut bien être sa perception du réel ? Erreur du film qui nous laisse penser que sa perception est identique à la nôtre. Or, doté, par hypothèse, d’un seul sens – le toucher - elle ne peut l’être : a) Pour elle, couleurs, sons, odeurs, saveurs… n’existent pas ; b) Tout ce qui existe pour elle est pris sous les catégories du dur / mou ; chaud / froid ; lisse / rugueux… ; c) Pour qu’elle puisse si aisément se mouvoir dans le monde (sans, par ex., se heurter aux murs), il faut lui supposer la capacité de se donner une représentation spatiale de ses impressions. Physiquement : système similaire au sonar – lecture-interprétation des vibrations ressenties et construction-projection de l’objet perçu dans l’espace de sa perception ; d) si nous pouvons concevoir la possibilité physique d’une telle perception – et, peut-être, construire une machine capable de l’imiter et de traduire en perception visuelle (tel le sonar ou l’échographie) – le monde propre (subjectif, vécu) de la « chose » nous est cependant inimaginable.

(+ de détails : http://tagetalex.free.fr/lachosedelafamilleaddams.html).

 

. D’une façon générale, la conscience qu’un vivant a du réel – son monde propre (vécu, subjectif) - est notamment fonction : a) du nombre et de la structure de ses sens ; b) de son réglage temporel ; c) de la finesse relative de ses moyens de perception. 

 

a) Le nombre et la structure des sens. Texte de Montaigne. D’autres sens réels et possibles = d’autres mondes propres. Et d’autres aspects du réel qui se dévoilent. Notre illusion = comme pour tout vivant, croire que le réel se réduit à ce que nos sens en dévoilent. Exemples de tels mondes propres : Daredevil de M.S Johnson (la chauve-souris) et le Sixième sens de M. Night Shyamalan. Daredevil : super-ouïe + système de lecture du réel de type échographique ou sonar. Sixième sens : sens spécifique percevant les fantômes auxquels les hommes ordinaires seraient aveugles. Texte de Modiano pour donner une consistance moins fantastique à ce sens : un sens qui capterait l’écho des êtres disparus, écho se déployant en ondes continuant imperceptiblement (pour nous) à vibrer.

(+ de détails : http://tagetalex.free.fr/Daredevilperception.html et http://tagetalex.free.fr/sixiemesens.html)

 

b) Le réglage temporel. Texte de Castoriadis. Le monde qui nous apparaît est fonction d’un certain réglage temporel (pour nous, sensibilité à 1/18ème de seconde ; pour la mouche, env. 1/200ème de s.). Transformation via la technique cinématographique de ce réglage (ralenti / accéléré) : le monde se transforme radicalement – ce qui était mobile devient immobile et l’immobile mouvant selon le rythme de durée propre de chaque vivant. Deux ex. : le Spiderman de Sam Raimy et Microcosmos de Claude Nuridsany.

(+ de détails : http://tagetalex.free.fr/spiderman.html)

 

c) La finesse relative des moyens de perception. Texte de Pascal : changement total de perspectives en allant par l’imagination – et via la perception aidée de prothèses techniques (microscope, télescope) - d’un côté vers l’infiniment grand, de l’autre vers l’infiniment petit. Trois ex. : Microcosmos (jeu de changement d’échelle – le monde ouranien, le monde humain, le monde des insectes). Le final de Men in black : notre galaxie serait contenue dans la bille d’un extra-terrestre (qui lui-même, etc.). Les puissances de dix (IBM) : sentiment pascalien de merveille et d’effroi. Merveille : richesse inépuisable de la nature. Effroi : perte des repères et révélation de la vanité de notre prétention à être au centre d’une totalité comprise et maîtrisée.                  (+ de détails : http://tagetalex.free.fr/microcosmos.html)

 

. Texte de Uexkull : imaginer autour de chaque vivant une sorte de bulle invisible représentant son monde propre. Entrons, par l’imagination, dans cette bulle : ce qui nous semblait le monde lui-même, se transforme tout entier. Sentiment pascalien d’émerveillement : ce que nous pensions être la réalité-même se démultiplie en millions de mondes propres et de perspectives.

 

. Synthèse des illusions propres à toute conscience – croire que le monde est en soi tel qu’il est pour moi – qui s’explicite en :

i) Croire que le réel se réduit à notre unique perspective. « Il y a des fleurs, des papillons, un beau soleil – et c’est tout. »

ii) Croire que ce que je ne peux saisir (prendre avec ses instruments de préhension et com-préhension) n’existe pas.

iii) Croire que le réel est en lui-même constitué de qualités sensibles. Le mur en lui-même n’est ni chaud, ni lisse, ni coloré… : de telles qualités sensibles, invisibles à tout autre (ex. à l’IRM) n’existent que pour un sujet capable de les éprouver et sont projetées sur les choses par sa perception. Ce pourquoi, par ex., le Big Bang n’était (en soi) ni chaud, ni bruyant, ni coloré… - il ne l’est que pour notre imagination.

. Si l’on appelle inconscient l’ensemble des forces et structures qui déterminent la conscience à son insu – la conscience de tout vivant = structurée par un tel inconscient (ici biologique) – puisqu’elle l’est à son insu selon a, b et c dans l’illusion de transparence.

 

. Quelle leçon pour l’humain ? Texte de Montaigne – contre l’anthropocentrisme (se poser au centre du réel) et l’anthropomorphisme (projeter sur le monde les formes de notre compréhension) spontanés, penser la richesse infinie de la nature, incommensurable à nos pouvoirs de compréhension (Pascal). Texte de Nietzsche : « le monde nous est redevenu infini » - alors que spontanément, aveugles à la relativité de notre perspective, nous l’enfermons dans un unique point de vue que nous prenons pour le tout.

 

b) Les illusions de la raison

 

.  Mais, pourrait-on répondre, la science n’a-t-elle pas pour prétention de nous libérer du caractère perspectif (et donc relatif) de notre conscience spontanée (et donc, en ce sens, de l’inconscient) pour nous amener à la conscience des choses-mêmes ? L’idée d’objectivité de la raison : voir les choses en elles-mêmes, en mettant à distance (le recul) nos perspectives et affections propres.

 

. Naissance de la science moderne (17ème s.) : 1) Réduction du réel à l’extériorité (élimination de toute intériorité – de type âme-désir); 2) Substitution au langage anthropomorphiste de la qualité de celui de la quantité; 3) Elimination des explications anthropomorphistes en forme de « pourquoi » (raisons internes – ou buts, fins) pour le « comment » soit les raisons externes et mécaniques.

Galilée - « la nature est écrite en langage mathématique » - et la science aurait pour objet de mettre à jour cette mathématique du monde derrière les apparences de notre perception. Idée du démon de Laplace – une intelligence infinie connaissant l’intégralité des forces à un instant donné pourrait reconstituer la totalité du passé et de l’avenir de l’univers. Ex. du film Pi de P. Anorofsky : idée de saisir la mathématique de l’univers (l’équation du monde) en une connaissance non plus seulement du deuxième genre (connaissance rationnelle abstraite, à distance de son objet – opposée à la connaissance du premier genre qui est, en gros, celle de la perception ordinaire) mais du troisième genre (Spinoza) qui est  - ici – coïncidence connaissante de l’esprit avec la mathématique du réel (cf. encore le pouvoir final de Néo dans Matrix I des frères Washowsky).                                                                                         (Pour approfondir : http://tagetalex.free.fr/pimatrix.html)

 

. Mais d’où savons-nous que le véritable texte de la nature est d’ordre mathématique ? Réponse : a) C’est un a priori (c’est-à-dire une structure innée) de l’esprit (qu’il faut donc d’abord reconnaître); b) L’efficacité théorique et pratique des sciences.

 

a)     Un a priori de l’esprit. On ne comprendrait pas que toute intelligence développée reconnaisse la nécessité de l’idée du démon de Laplace si une telle idée ne correspondait à une structure innée (Kant - « a priori ») de notre esprit. Mettons-la en lumière : toute réalité pour nous est rationnelle c’est-à-dire est structurée de telle façon qu’elle répond aux questions de la raison – « qu’est-ce que ? » et « pourquoi ? ». Une réalité qui serait indéterminée (sans essence) et qui serait sans pourquoi (sans causes au sens large) nous est inconcevable. Or les mathématiques sont un langage de la raison (cf. cours sur la raison) : alors que le langage ordinaire, déjà sur la voie de la raison (car répondant à ses questions) reste grossier et imprécis, en réduisant la réalité à l’extériorité spatiale et la mettant en fonction, la physique mathématique s’assure la rationalité totale de son objet en chacun de ses points et de ses instants (Bachelard). Applic. à l’ex. du jet d’une pierre ou au jeu de roulette.

b)     L’efficacité théorique et pratique des sciences. Construction de modèles d’explication et mise à l’épreuve de l’expérience. Possibilité de prévoir + de construire des appareils techniques efficaces (de perception et d’action). Or la seule efficacité de ces appareils a pour condition de possibilité une certaine correspondance entre les modèles qui ont permis de les construire et la réalité. Ainsi en va t’il d’ailleurs de tout l’appareillage biologique (système de vision, d’audition, etc.) dont l’efficacité est le signe que quelque chose est, par eux, bien saisi de la réalité. De même que l’invention biologique de l’audition, par ex., ouvre tout à la fois de nouveaux mondes propres et éclaire de nouveaux aspects de la réalité, de même, les inventions techniques humaines par le biais de l’intelligence sont autant de prothèses qui peuvent ouvrir à notre raison et à notre perception de nouvelles dimensions (le miroir, le microscope, le télescope, le train, le cinéma, la radiographie, l’échographie, etc. - pour la vue).

 

. Mais il ne faut cependant pas conclure de l’efficacité des prévisions et des appareils à la correspondance totale et parfaite des modèles théoriques à la réalité. Car :

 

a) Il y a une histoire des sciences – histoire qui reléguant les anciens modèles dans la fausseté (Ex. Newton / Einstein) montre que, loin d’être des vérités, ces modèles, quoique dans la vérité, sont aussi des « erreurs en sursis » (Alain).

 

b) De la même façon que le fait que notre conscience perceptive ne puisse percevoir le réel autrement que recouvert de ses propres formes (coloré pour la vision, odorant pour l’olfaction…) n’implique pas que le réel en lui-même soit constitué de telles formes (cf. + haut, les trois illusions), le fait que notre raison ne puisse penser autrement le réel n’implique pas que ce dernier soit constitué selon ses propres catégories (de façon rationnelle). Kant : puisque nous ne pouvons quitter notre conscience (ici raisonnante) pour appréhender les choses en elles-mêmes, « la chose en soi est inconnaissable » - connaître c’est donc nécessairement projeter sur la chose, et à notre insu, les formes de notre connaissance.

 

c) Si l’efficacité prévisionnelle et pratique d’un modèle implique cependant – comme pour toute forme de perception – une certaine correspondance entre la réalité et le modèle – la réalité, étant, au minimum structurée de telle façon qu’elle donne prise en certaines de ses parties au modèle – cela n’implique cependant nulle identité : par hypothèse ce qui, quoique existant, ne se laisserait pas saisir sous les schémas et appareils serait comme inexistant (ainsi d’un gaz inodore, incolore… pour notre perception ordinaire), l’illusion consistant à croire, parce qu’on ne saisit plus rien, qu’on a tout saisi.

 

d) Cette dernière hypothèse n’est pas gratuite : d’immenses pans de la réalité sont, par nature, étrangers au regard de la science (extériorité, distance, absence d’affects). Texte de Nietzsche sur la musique : irréductibilité des mondes musicaux à l’extériorité quantitative – et, plus largement, toutes les réalités qualitatives dont l’exploration et la création supposent la puissance et l’épreuve sensible d’un sujet vivant, des innombrables mondes-propres animaux – par nature invisibles - aux mondes multiples de la culture.

(cf. sur ce point dissertation sur le goût, troisième partie).

 

e) C’est qu’en effet la position d’objectivité de la science n’est pas, comme elle le croit, plongée dans le cœur du réel – ou point de vue de Dieu - mais un certain point de vue sur le réel naissant de l’intelligence d’un vivant singulier (Nietzsche, Bergson, Canguilhem). Bergson : qu’est-ce en effet que « l’intelligence » ? Pouvoir de connaissance de certains êtres vivants s’opposant à l’instinct. Instinct :  selon Bergson, non un pur automatisme mécanique mais « la connaissance immédiate d’une chose » (L’évolution créatrice) : tout se passe comme si le sphex (une sorte de grosse guêpe) qui pique au bon endroit la chenille dont elle veut se nourrir et la paralyse coïncidait par sympathie avec le mouvement intérieur vivant de cette dernière et savait donc immédiatement « où ça fait mal ». L’intelligence, au contraire, est en rapport d’extériorité à son objet. C’est, en effet, la faculté consciente de résoudre un problème et d’inventer des techniques (savoir-faire, outils, machines) pour cela. Ex. de la corneille : comment attraper ce morceau de viande au fond d’un tronc d’arbre ? Ex. du chirurgien : comment extirper cette balle de ce corps ? Nulle question de sentiment ici – pour le chirurgien ceux-ci brouilleraient plutôt sa perception (il neutralise donc toute sympathie). L’intelligence par nature ne connaît que des surfaces - qu’elle manipule, analyse et décompose - et des rapports abstraits entre ces surfaces (et non des individualités).  Intelligence signifie donc : extériorité ou distance à la chose (et non sympathie), connaissance de ses surfaces (et non de ses profondeurs vivantes), de ses rapports extérieurs à d’autres (et non de son individualité propre), de sa matière (et non de sa vie). L’origine de l’intelligence est vitale : c’est une création de la vie qui assure une formidable capacité d’adaptation à la contingence de nouvelles situations. Selon Bergson à nouveau, c’est cependant ce qu’oublie tendanciellement la science : avec Galilée, le regard de l’intelligence se fait totalisant – prétendant accéder à la totalité des choses qui ne se donneraient en vérité que sous ce type de regard et, par exemple, cerner la vie - oubliant ainsi son origine singulière dans la dynamique d’une vie qui la dépasse en profondeur.

 

f) Qu’un tel point de vue totalise tous les points de vue possibles est donc à la fois impossible et donc faux, et, en même temps, selon Nietzsche, le symptôme d’un appauvrissement de l’existence et d’une civilisation qui se met tendanciellement sous la seule coupe de la science. Nietzsche : l’esprit dit « objectif » du scientifique est celui d’un être plat et sans puissance – incapable d’éprouver et ainsi tant de voyager, de juger que de créer par lui-même des mondes qui ne s’ouvrent qu’aux puissances éduquées de la sensibilité.

 

Transition : toute conscience serait donc une perspective – une lecture – une interprétation (plus ou moins riche, plus ou moins puissante) projetée à travers des structures dont elle n’a pas conscience. Mais si – à travers une conscience seconde - nous avons pu analyser ici quelques-unes de ces structures, c’est maintenant de la force projective elle-même qu’il nous faut rendre compte. Tel est au sens plein la notion d’inconscient : ensb. de forces qui déterminent la conscience à son insu.

 

 

2) Un inconscient biologique ? (ce que la conscience doit au corps) (Conscience, vivant, inconscient, liberté, culture)

 

. « La conscience n’est pas un empire dans un empire » (Spinoza) (= souveraine et libre) = une émergence de l’organisme, lui-même produit de l’évolution du vivant. Conséquences : voyant à travers elles, nous ne sommes pas conscients des structures perceptives que nous devons à l’espèce. Ainsi en serait-il de nos désirs (que nul n’a choisis, qui viennent donc d’ailleurs – ici, par hypothèse, du corps). Hypothèse de Schopenhauer : l’amour serait le produit d’un inconscient biologique (ensemble structuré de forces biologiques, marques de l’espèce en nous, structurant et guidant la conscience à son insu) – l’amour = manière illusoire dont apparaît à la conscience la tension reproductrice de l’espèce (l’inconscient bio).

 

. Analyse détaillée du texte de Schopenhauer :

. a) Les racines profondes de l’égoïsme = biologiques. Etre vivant = être pour soi-même le centre de son monde (phrase de Schopenhauer). Cf. dessins de Garfield. Castoriadis : tout vivant = sujet non au sens d’un être libre cause de soi, mais, contrairement à la simple matière, doté d’une dimension intérieure. Trois caractères du sujet vivant : autocentré (se vit comme centre du monde) ; autofinalisé (mu par une tension interne qui fait corps avec lui) ; doté d’un monde propre (le monde de l’amibe, de la mouche, du chien…). A la différence de la simple matière, l’être vivant = toujours en tension, se faisant et se visant à travers le continu d’échanges matériels dans la lutte précaire pour exister. Conséquence: l’égoïsme=inhérent à la structure du vivant (je m’éprouve moi-même / l’autre n’est jamais pour nous que représenté = extérieur; Cf. dessins de Quino ; toute action suppose que j’y sois intéressé = que sa fin, d’une manière ou d’une autre, soit mienne).

. b) Si agir suppose que l’ego éprouve un intérêt pour l’action, comment l’espèce peut-elle survivre ? La survie de l’espèce ne demande t’elle pas le sacrifice de l’individu (altruisme : agir pour les autres, en faisant abstraction de soi) ? Or c’est ce qui ne se peut (autocentrisme). Comment donc l’espèce se reproduit-elle ? En se servant de l’individu à son insu : le désir sexuel (éros) = le moyen par lequel l’espèce se reproduit.

. c) Pourquoi une telle priorité de l’espèce (sur l’individu) ? Mise en perspective par la raison : i) petitesse et faiblesse de l’individu / espèce et / nature. ii) Nul ne s’est créé lui-même : l’individu = traversé par le genos (« race » en grec) cad les lois de l’espèce qui vit à travers lui. L’individu reproduit ainsi dans son individualité (formes, facultés, pulsions) la structure de l’espèce (par le concours des gènes = mémoire générique de l’évolution). Conséquence : « l’individu est l’instrument par lequel les gènes se reproduisent » (Dawkin, le gène égoïste).

. d) Si n’existent cependant jamais que des individus (je ne vois que ce cheval-ci, jamais le cheval), la pulsion générique de l’espèce se manifeste sous la forme subjective individuelle de « l’instinct » = point de jonction dans l’individu entre le subjectif (éprouvé, ressenti) et la réalité générale de l’espèce. Eros = ivresse, tension folle qui survient (absence de choix) et nous domine. Texte de Platon et Maupassant : image d’un « rut universel ». Cf. Les animaux amoureux de Laurent Charbonnier (2007). Chez les hommes, «ils ne pensent qu’à ça» (obsessions, séduction, propos grivois, fantasmes à tout va…) : naissant dès la puberté (ancrage biologique - sur son absence avant, cf. dessin de Quino), une tension plus forte que nous, envahissant notre conscience, semble nous conduire de l’attirance à la jouissance.

. e) Par la force d’éros, nous serions les pantins d’une pièce qui se joue à travers nous : la beauté, l’idéal, les mots d’amour = « pures chimères » envoûtant la conscience et puis disparaissant avec la jouissance. Fin de l’illusion = ennui et scènes de ménage – l’espèce ayant accompli son but (se reproduire). L’arrachement de l’homme à la nature (première partie) ne serait ainsi que l’illusion par laquelle la nature réalise sa visée.

 

Conclusion et critiques : Eros = indéniablement une force corporelle sexuelle, commune à la plupart des vivants, s’ancrant dans la tension reproductive de l’espèce que tout être porte en lui du fait de son origine dans le genos commun. Mais si une telle réduction convient à l’animal, l’amour humain s’y réduit-il ? N’y a-t-il pas des dimensions spécifiquement humaines d’éros qui échappent à une telle réduction ?

. Thème d’une nouvelle de Maupassant, L’inutile beauté (cf. texte) : loin d’être le moyen par lequel l’espèce se reproduit (beauté = artifices, apparences et masque / réalité de l’attirance – comme il le semble chez les animaux), la beauté humaine est en son sens profond profondément inutile = le « gratuit », le « pour rien », la dimension magnifique par laquelle se révèle : a) le refus de la pesanteur = obéir à la nature (stupide, répétitive); b) le désir humain de hauteur = de vivre et de se dire dans la dimension imaginaire de l’idéal, de la poésie, du sens.

. Conséquences = spécificité de l’amour humain (que Schopenhauer suppose, certes, mais ne peut expliquer ni réduire) :

a) le jeu multiple et créateur des mises en scènes de l’amour (culture et cultures) – cf. l’invention de l’amour dans La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud (+ de détails : http://tagetalex.free.fr/guerredufeu.html)

b) le détournement (voire l’annulation : cf. contraception) d’éros de sa fonction reproductrice pour les jeux du plaisir;

c) la défonctionnalisation d’un plaisir érotique dégagé des rythmes biologiques communs à la plupart des autres espèces. Beaumarchais : « faire l’amour à tout va et boire sans soif, c’est le propre de l’homme » ;

d) l’érogénéité (source de plaisir) de la quasi-totalité du corps (cf. l’art de la caresse ; faire du pied, etc.) ;

e) la nature imaginaire d’une telle érogénéité – ce n’est pas le contact physique qui engendre le plaisir mais l’unité du contact et de sa signification imaginaire (une réponse variable à la question « avec qui ? » peut faire passer la caresse du magique à l’horreur). Implication : le corps humain est doté d’une dimension inconnue de l’animal, un corps imaginant et signifiant.

. Conclusion : on ne peut donc réduire l’amour humain à son substrat biologique : la dimension psychique remodèle le rapport à notre propre corps.

. Quel lien cependant avec l’idée de Schopenhauer de forces d’origine biologique gouvernant l’amour ? Ces forces ne sont pas annulées : il est indéniable qu’éros s’ancre dans la nature biologique. Le travail (effort et transformation de soi) de la culture (éducation via la Culture ambiante – puis/et, via, à travers et parfois contre cette Culture, de soi par soi dans la constitution d’un chemin (culture à nouveau) propre de vie) consiste à spiritualiser ces forces naturelles en opposant à leur immédiateté la médiation de formes spirituelles à travers lesquelles elles vont tout à la fois se dépasser, s’élever et se réaliser. De là la possibilité de la chute qui, du point de vue de la culture, est barbarie : toutes les formes d’immédiateté (du viol, à la caresse et aux mots trop brusques… - lorsqu’elles ne sont pas de l’ordre du jeu) = de telle régressions et chutes sous la domination de l’éros biologique. Reste cependant que, remodelé intégralement par la dimension psychique (ou spirituelle) qui double dorénavant le mouvement de son corps (cf. e), l’homme ne peut jamais retomber (cf. 4.a.ii) dans l’inconscience (et innocence) totale de soi qui semble résumer le rapport animal à l’amour.

 

 

3) Un inconscient psychique ? (conscience, inconscient, désir, liberté, religion, matière, vivant, esprit)

 

a) Reconnaissance de la dimension imaginaire. Une dimension imaginaire psychique irréductible à la simple matière (un désir, un affect, une perception = subjectifs - n’existent pas pour caillou et sont invisibles à l’encéphalogramme) et au simple vivant (un requiem, mon rêve de la nuit dernière… n’existent pas pour mon chat) est constitutive de nos perceptions. Castoriadis - triple spécificité du psychisme humain (/ animal): i) Défonctionnalisation de la représentation psychique (imagination) vis-à-vis du substrat biologique : possibilité de se suicider, de se raconter des histoires, désir d’une vie qui ait un sens… sans fonction biologique (animal : ancrage des représentations dans le besoin) ; ii) Autonomisation de l’imagination humaine : à tout moment, un flux illimité et immaîtrisable de représentations, désirs et affects (impossibilité de ne penser à rien). Cf. le rêve humain et son infinie créativité / pauvreté relative supposée du rêve animal ; iii) Domination du plaisir représentatif sur le plaisir d’organe. Pas de sexualité sans fantasme c'est-à-dire sans imagination; gloire, richesse, amour = imaginaires ; exemple du sadisme et du masochisme.

 

b) Non liberté de l’homme à l’égard de son propre psychisme. Mais qu’une dimension imaginaire psychique, libre / substrat biologique, soit constitutive de notre conscience ne signifie pas pour autant notre liberté à son égard : hypothèse freudienne de l’inconscient psychique = ensemble de forces psychiques déterminant la conscience à son insu. Première reconnaissance - il y a une vie psychique qui échappe à mon pouvoir : i) pour une grande part d’entre elles, mes pensées « surviennent » (Nietzsche) non quand je le veux mais « quand elles veulent » - cf. les bons mots, les créations du poète ou du musicien ; ii) il y a des pensées qui nous excèdent – cf. tel poème qui nous échappe en partie, appelant un univers immaîtrisé indéfini d’images et de significations non présentes ; iii) ma pensée = le siège de passions (amour, haine, vengeance) qui s’imposent à moi malgré moi ; iv) les névroses = affections caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels dont le sujet est conscient et dont il ne peut se débarrasser (cf. phobies ; toc) ; v) les psychoses (cf. paranoïa) : submersion par des forces psychiques incontrôlées ; vi) les désirs et leurs structures propres (qui de nous maîtrise ses fantasmes ? – on les découvre plutôt qu’on les construit. Cf. l’homosexuel, le sadomasochiste, le pédophile, le zoophile, l’amoureux des blondes, etc.)) ; vii)  Actes manqués et lapsus. // Dans tous ces cas : étrangeté de soi à soi se manifestant par des actes, mots, pensées, désirs qui excèdent et dépassent la volonté consciente et la poussent dans des directions étrangères, parfois contradictoires et souvent douloureuses. Derrière la vie consciente : une vie imaginaire dont nous ne sommes pas maîtres et qui nous détermine = le concept freudien d’inconscient.

 

c) L’hypothèse d’un inconscient psychique

i) L’hypnose comme origine. Hypnose : exiger d’autrui (réussite variable) un comportement qu’il effectuera en le rationalisant (donner des raisons à son geste étrangères aux véritables causes = le commandement) – la conscience est trompée et se donne à elle-même de fausses raisons.

ii) Elargissement du schéma de l’hypnose – la décision théorique de Freud. Les raisons que nous donnons de nos désirs, pensées, rêves, actes… ne sont-elles pas autant de rationalisations = masques de phénomènes psychiques se déroulant hors du champ de la conscience ? Raisons d’une telle suspicion : texte de Freud. Décision théorique de considérer comme signifiants (qui veut dire quelque chose = correspond à une intention de sens - non hasard) les rêves, actes manqués, idées surgissantes… Raisons = 1) rendre compte de phénomènes psychiques qui sans cette hypothèse demeurent incompris (gain de sens); 2) développer « une pratique couronnée de succès » - la psychanalyse.  Ici : analyse de la première raison.

 

iii) La structure du psychisme. Première topique (théorie des « lieux » psychiques = de la structuration du psychisme), 1915 : division du psychisme en conscient (ce dont nous avons actuellement conscience) / préconscient (ce dont nous pouvons, à volonté, avoir conscience : cf. nos souvenirs) / inconscient (siège d’une vie imaginaire désirante qui se manifeste à la conscience de façon déguisée – selon Freud, image de l’iceberg : les 9 / 10ème du psychisme humain). Pourquoi donc un tel déguisement ? 1) Le refoulement (expulsion et oubli) : désirs insupportable pour notre conscience (cf. meurtre, inceste) refoulés du champ conscient : opération de censure. Mais les désirs inconscients veulent se manifester – les désirs refoulés refont surface sous forme déguisée. Rêves, lapsus, actes manqués… = formations de compromis (acceptables par la conscience, satisfaisant indirectement le désir inconscient). 2) un indicible psychique : antérieurement au langage auquel nous devons de pouvoir nous dire et nous penser (conscience), la psyché était (et reste) quelque chose (un flux imaginaire de désirs et d’affects) qui ne peut exhaustivement se dire dans la logique consciente.

 

iv) Reconnaissance de l’inconscient – rêves, actes manqués, névroses, désir ordinaires…

iv.a) Analyse d’un rêve. Cf. texte de Freud et schéma. Le rêve est la manifestation indirecte d’un désir inconscient. A noter : 1) le centre du rêve n’est pas là où on le croît (différence entre rêve manifeste – ce dont nous avons conscience - et sens latent – ce qui se dit à travers ce rêve) ; 2) trois lois de l’inconscient (la logique ou « processus primaire ») : déplacement (le centre du rêve se déplace à la périphérie); substitution (un élément pour un autre); condensation (un élément condense de multiples sens et désirs) ; 3) Ainsi transformé le contenu du rêve est sans danger et donc acceptable pour la conscience (le rêve est un compromis); 4) l’interprétation du rêve part du contenu manifeste pour, par l’association libre, éveiller les idées qui lui sont imaginairement liées. De là : pas de possibilité d’interpréter directement (sans « association libre ») le sens d’un rêve; l’interprétation est une quête dont on ne sait pas a priori si elle va réussir ; Freud : il y a du non interprétable (cf. ici le « 3 » : pourquoi ?) 

 

iv.b) Actes manqués et lapsus. Ex. « j’ai roté pour vous » : au lieu de « voter » - l’inconscient satisfait indirectement son désir de meurtre ; casser le vase de la grand-mère : idem – du point de vue de la conscience, il s’agit d’une erreur, d’un hasard, etc (= acceptable).

 

iv.c) Les troubles névrotiques. Telle douleur, telle obsession récurrente, tels tocs (nécessité de se laver les mains, d’effectuer tel rituel avant de se coucher, etc. )… peuvent être le résultat d’un conflit psychique. Cf. cette femme dont parle Freud se plaignant de maux de ventre et dont l’origine est à rechercher dans un souhait antérieur, oublié et refoulé, de mort d’une sœur perdue, souhait dont elle se punit en se faisant souffrir. Exemple de la maison du docteur Edwards d’Alfred Hitchcock.

 

iv.d) La psychose. Domination absolue de toute la personne par des puissances inconscientes. Exemples de paranoïa et schizophrénies - Spider de Cronenberg, Psychose de Hitchcock.

 

iv.e) Les amours, haines et désirs ordinaires. Absence de choix des objets d’amour et de haine : hypothèse d’une détermination inconsciente.

e.1) Haine et désir de meurtre. Quelle est cette jouissance propre à l’homme qui se satisfait de l’anéantissement des autres (jeux vidéos, etc. ) ? Texte de Freud. 1915 : contre les espoirs humanistes, les hommes vont à la guerre en chantant. Comment est-ce possible ? Les horreurs de la guerre révèlent (sans créer) le monstre sanguinaire au fond de nous. Manifestation indirecte dans la vie quotidienne – les moments d’agressivité et de violence latente (bousculades, priorité grillée, train en retard, mauvaise note, camarade qui sort avec un autre, etc.) : mouvements d’humeurs s’exprimant dans des regards (fusillant), des phrases (mordantes), des gestes (doigts d’honneur, crispation de lèvres…). Freud : il s’agit de compromis. Pour l’inconscient ils sont déjà morts. Tout ce qui s’oppose à sa « majesté le moi » = à cet être qui se vit comme centre tout-puissant ignorant le réel et désirant réaliser ses désirs (marcher droit, sortir avec X, etc. ) = anéanti. En enlevant l’interdit ordinaire, la guerre ne fait ainsi que révéler la violence latente. Pour l’être civilisé, celle-ci ne va, cependant, pas sans rationalisation (compromis acceptable par la conscience) : l’autre est « l’ennemi de la patrie », « un infidèle » etc. Idem / le rêve (compromis). Idem / le jeu : le désir d’expansion du moi s’y réalise indirectement («ce n’est qu’un jeu»). Conclusion : « à en juger par nos désirs et nos souhaits inconscients nous ne sommes tous qu’une bande d’assassins » - renversement de la thèse classique selon laquelle l’humanisation (de l’espèce, de l’individu) = de la violence à la paix de la raison. Le « primitif » (assassin tout puissant centre du monde ne visant que son plaisir) = toujours à l’intérieur et se pare parfois, à l’insu de notre conscience qui se laisse prendre à son jeu, des plus beaux attributs moraux (mon droit, la patrie, Dieu, le bien).

 

e. 2) Nos amours. Nous ne choisissons pas nos objets d’attachement (mère, lieu, pays, dieu…) : ils s’imposent à nous. Freud : une logique inconsciente sous-jacente. Texte de Nietzsche : derrière l’amour en apparence désintéressé de la patrie, de sa ville, de ses enfants… soupçonne l’amour de soi (« c’est moi, c’est à moi »). Pour comprendre une telle logique d’identification – appropriation d’un autre que soi devenant le miroir à travers lequel je me désire et vois : généalogie (étude de sa genèse) de la psyché humaine.

1) Premier état de la psyché de l’enfant : boule autocentrique, « autistique », ne connaissant pas l’altérité (le fait qu’il soit autre) du réel, mue par le seul principe de plaisir et réduisant le monde extérieur à ce dernier (la mère comme être séparé et autre que soi n’existe pas). Freud : « je suis le sein » - absence de séparation du monde extérieur et de soi. Lorsque le sein ne vient pas : cris – non pas un évènement mineur, c’est son monde (lui-même) qui se brise et perd tout sens (à ce stade = incompréhensible pour lui). Le sein qui vient : réunification – réengendrement de la clôture de soi sur soi qui semble le but premier du désir (ne pas manquer, être réuni à moi-même dans la plénitude de la satisfaction).

A contrario, logique du « devenir grand » : long processus de restructuration du psychisme à travers lequel il faudra – pour vivre – reconnaître que le réel ne répond pas à mes désirs, qu’il est autre que moi = que je ne suis pas le centre tout-puissant d’un monde qui se réduit à mes désirs. Or une telle reconnaissance = toujours douloureuse et doit pour être effectuée être compensée par quelque gain psychique. La restructuration du monde de l’enfant = à la fois une logique d’assimilation (introjection) de l’altérité du réel et en même temps d’appropriation-domestication de ce dernier.

2) Le manque vient briser la clôture satisfaite : le bébé devra apprendre (sauf anorexie du nourrisson) qu’il n’est pas tout-puissant, mais qu’un autre être détient la toute puissance (la mère, détentrice du sein = de la source de plaisir). Première chute : nous sommes deux ! – je ne suis pas maître de la réalisation de mes désirs. Naissance de la conscience de l’extériorité du réel dans la haine : « la haine est plus ancienne que l’amour » (Freud). Conséquence (M. Klein) : dissociation du monde entre un « mauvais sein » (celui qui ne vient pas, sur lequel afflue la haine = les fantasmes de destruction, cf. d.1) et un « bon sein » (le sein plaisir que l’enfant pourra dès lors fantasmer). Important : dès l’abord, nature ambivalente (double valeur) du monde posé comme extérieur = à la fois ce qui me fait chuter (donc que je hais – le mauvais monde), à la fois ce qui permet à mon désir de se réaliser (donc que j’aime – le bon monde). Origine très lointaine d’une vision manichéenne du monde : bien / mal, patrie / étranger, ami / ennemi, croyants / infidèles… Recréation – appropriation du monde (monde-mien) à travers cette première scission : investissement (restructuration du désir) de la mère comme toute-puissante dont je dois me faire aimer = visée d’un état (impossible) de fusion. A contrario / compréhension de la genèse de certaines psychoses – (via une mère non aimante, par ex.) constitution de l’autre que soi comme terrible menaçant, rendant impossible son appropriation - investissement (absence de relations ouvertes, de plaisir et d’échange à l’autre – cf. la paranoïa).

3) Ce nouvel équilibre dans un monde à nouveau maîtrisé recentré sur soi avec une mère à soi doit cependant être à nouveau brisé : la mère en désire un autre, papa (mère : n’est pas ce que je crois = à moi, pour moi). L’interdit et le « non » : refus de la fusion (mon désir le plus grand). Nous sommes trois ! D’où : complexe d’Œdipe. Haine et désir de meurtre du père (expulsion du père comme autre-mauvais, dessin de Quino); désir de fusion avec la mère. Résolution du complexe d’Œdipe par une restructuration du monde : identification-appropriation du père comme « mon père, ce héros » en tant que je désire être sur son modèle (visée de la toute-puissance future à travers l’imitation de mon nouvel idéal, cf. dessin de Quino) ; acceptation d’un amour limité de la mère. Appropriation de la structure familiale – le « cocon familial ».

4) Mais le cocon doit être à nouveau brisé : la toute-puissance de papa relativisée. L’école vient briser ce modèle à trois – il y a des autres que moi, d’autres familles et je n’ai pas la priorité. Nouvelle souffrance et double solution : reflux vers le monde clos familial (cf. timidité); investissement-appropriation de ce nouvel espace (camaraderie et reconnaissance, valeurs de la classe, etc.).

5) Suivent alors d’autres types de chocs et de brisures suscitant refus et appropriation-domestication du monde : chez nous - le collège, le lycée, les concours, le monde du travail, la maladie, l’hôpital, la mort…Jusqu’où pouvons-nous donc nous approprier le réel = en faire un « chez soi » ? Toute introjection = compensée par une appropriation-domestication (projection de soi sur le monde). Mais pouvons-nous faire nôtre (désirer) la mort ? = or = anhilation de notre être et de notre désir – l’inassimilable, l’inappropriable, ce qui révèle l’irréductibilité dernière, l’étrangeté radicale de la nature à notre subjectivité. Mais une telle étape n’est, dans l’histoire humaine, presque jamais psychiquement franchie : l’institution religieuse de la société (cf. 4) pose l’existence d’un sens dernier (« croire en dieu signifie voir que le monde a un sens » (Wittgenstein)), relativise la mort (l’essentiel demeure), nous pose au centre des préoccupations d’un ou des dieu(x), divise le monde en élus et ennemis (nous = les premiers) = immense bénéfice psychique pour la psyché : un monde approprié conforme à mes plus profonds désirs.

 

Etapes de constitution de la psyché dans sa relation à l’extériorité du monde.

 

Monde approprié = « autre mien »

 

Mauvais monde = « autre étranger »

Clôture primordiale autistique d’un être autosuffisant.

Pas encore de monde extérieur à soi : « je = tout = plaisir »

« A l’origine le moi contient tout, ultérieurement il sépare de lui un monde extérieur » (Freud)

 

Pas encore de monde extérieur à soi : « je = tout = plaisir »

Brisure de la clôture

Nous sommes deux.

« Le bon sein ». La bonne mère – le bon lait… = le bon monde

« Le mauvais sein ». La mauvaise mère = le mauvais monde

Nous sommes trois.

Interdit de fusion, reconnaissance de l’interdit et de sa place dans la structure familiale.

 

Identification – création de l’idéal du moi : le père tout-puissant aimé et pris pour idéal : ouverture de nouvelles relations prises dans un nouvel horizon (futur) du monde.

 

Complexe d’Œdipe : « Le père haï et expulsé ». Re-centration sur la mère. Expulsion du corps étranger.

Nous sommes plusieurs et ma famille est une famille parmi d’autres dans l’espace social.

 

Investissement du monde social, de ses valeurs et de ses buts,  de ma définition (rôle, situation) sociale.

 

Reflux vers le monde clos familial. Les autres = angoisse et peur.

 

Il y a plusieurs sociétés, irréductibles à la mienne.

 

Cosmopolitisme : « citoyen du monde ».

Séparation de l’ami (nous = les bons, les justes) / ennemi = l’étranger, l’infidèle – selon une pluralité de cercles concentriques (le village, la patrie, la religion, la race…).

Je ne suis rien dans le grand univers.

???? pb du sens de la vie ????

Accepter la mortalité

La mort, le néant de nos vies = horreur et angoisse.

= « l’immonde » (ce qui ne peut faire monde)

 

Note sur le renoncement. Freud : « l’inconscient ne renonce jamais », « l’inconscient ignore le temps », « l’inconscient n’oublie jamais ». Les étapes de la constitution psychique ne sont pas annulées, elles continuent leur travail (désir) en sous-œuvre. Le psychisme est ainsi constitué en strates en partie poreuses, sédiment vivants plus ou moins profonds de notre histoire, coexistantes et conflictuelles. Ex de ces résurgences : amours et haines de la mère (la mère toute-puissante haïe et aimée) ; de la quête du regard du père (l’idéal) ; le tyran familial (enfant ou père), etc.

 

6) Retour sur le texte de Nietzsche – phase tardive de l’évolution psychique. Même logique cependant : appropriation d’une réalité extérieure qu’ils ont fait leur (s’y projettent et reconnaissent). Propriétaire terrien et sa terre : sentiment d’expansion et d’attachement – c’est lui qui se déploie à travers les montagnes. Idem / Susanita et son fils médecin : l’autre = approprié = constitué comme un miroir de soi (sur lequel je me projette). Idem / l’orateur qui se lit sur la scène des grands hommes, de l’Art et de la Science. Fragilité cependant de tels miroirs - fondamentalement : étant une représentation (miroir, projection) de moi-même, par essence séparée de moi (devant, dehors) l’autre n’est pas moi – il ne fait pas corps avec moi (ce que je désire pourtant : être une totalité parfaite). L’autre est un autre et obéit à sa logique propre (cf. le fils médecin en aimera une autre) ; étant séparé de moi, le doute sur cette identification peut à tout moment survenir ; ce que montre la dépendance à l’égard du regard (imaginaire) des autres : on ne se suffit pas de la représentation de soi à travers l’image, on veut se convaincre de sa réalité en la montrant aux autres et en suscitant leur reconnaissance et admiration (cf. celle qui vante son fils, l’orateur qui se dit, le propriétaire qui se montre). Le regard des autres = le miroir à travers lequel je lis ma propre grandeur. Cf. qui vous regarde lorsque, seul(e), vous vous admirez dans votre miroir ? = votre imagination du regard de l’autre (ce pourquoi, on apprend qu’on est (mais ce n’est jamais que notre image) beau ou laid – et on se voit, par après, par rapport à ce regard imaginaire : nous nous voyons par les yeux des autres en nous). Fragilité d’un tel regard : inconsistance et variabilité de l’opinion, nécessité d’élargir le cercle de reconnaissance, etc.

Petite liste de ces substituts à notre désir d’être le centre-tout conçu comme des appropriations-réductions de l’infinité du réel (les milliards d’autres, les autres sociétés, l’infinité du temps et de l’espace). « Vivre c’est s’aveugler sur ses propres dimensions » (Cioran) = constitution de micro-totalités (« bulles » quasi fermées) où nous re-positionnons au centre : le sommeil ; le rêve ; le jeu ; le monde du fantasme ; la constitution d’ « objet transitionnels » (Winnicott) = objets, espace, personnes appropriés servant de protection contre et de transition pour affronter le monde étrange et étranger (doudou, chambre, famille, papa, maison, village, patrie…) ; micro-totalités : à tous les niveaux de la société - bureau, salle de classe, salle de sport… luttes et hiérarchie (« être à la place de Mireille » = substitut d’être au centre du monde ) ; indissociable de ces dernières, la recherche du regard de l’autre (idem / reconnaissance comme substitut au désir d’être tout – alors même qu’il y a, réellement, des milliards d’autres indifférents).

 

Conclusion sur l’inconscient psychique

Contrairement à ce dont nous avons immédiatement conscience, nous = étrangers à nous-mêmes, les jouets de forces psychiques (divisées et conflictuelles) dont nous n’avons nulle conscience. But de la philosophie et de la psychanalyse : se libérer. Changer le rapport immédiat à nos désirs inconscients (refoulement, aveuglement, rationalisation) - se connaître pour se choisir lucidement et se transformer. « Là où ça était [les forces impersonnelles inconscientes], Je dois advenir [la dimension de la réflexivité consciente de soi ayant le projet de devenir le sujet = l’auteur de sa vie] » (Freud). La conscience – conçue ici comme réflexivité – est une tâche, la liberté un projet. Sur ce chemin : accepter l’altérité du réel (irréductible à moi, à mes désirs) – dont notre mortalité car « la vérité est du côté de la mort » (S. Weil) : seul celui qui accepte (pour la part réflexive de lui-même) de ne pas être le centre-tout (et en ce sens, pour partie, de faire le deuil de son plus profond désir) peut élaborer un rapport vrai et juste à soi-même et à l’autre et construire sa vie hors de l’illusion.

. Mais une telle libération suppose la réflexion, la maîtrise et la transformation de ces autres forces introjectées au cœur de notre vie psychique qui, nous formant et nous normant, font de nous les valets du « gros animal » (Platon) social.

 

 

4) Un inconscient social ? (conscience, inconscient, société, culture, religion, langage, désir)

Inconscient : ensemble de forces qui déterminent la conscience à son insu. Social : réalité transindividuelle – n’existant qu’à travers les individus – artificielle (non naturelle, différence / espèce) du « collectif anonyme » (Castoriadis), produit de l’histoire humaine, constitué d’une unité de significations imaginaires (Dieu, l’argent, Quetzalcóatl…) indissociables d’une organisation et d’une structuration du monde humain et naturel, s’imposant à l’individu en mettant en forme ses pensées, ses désirs, ses affects. Premier étonnement : la société est invisible au regard immédiat.

 

a) Le point de vue de la conscience est illusoire : présence et invisibilité de la culture. Toute pratique, affect, regard = structuré socialement.

i) La culture est en nous : reconnaissance du fait. Décentrement de la conscience immédiate depuis d’autres points de vue (cultures). Texte de Malson : ce qui nous apparaît évident, normal, naturel = n’existe pas pour d’autres société ; ce qui nous apparaît horrible, immoral… est la norme pour d’autres sociétés. Ex. des goûts culinaires, de  la langue, de l’accent, de la musique, du rapport mère / enfant ; mari / femme ; jeunes / vieux… Conclusion : nous vivons comme naturelle une réalité culturelle relative et historique (variable dans le temps et l’espace). Une culture – ensemble de pratiques et de significations normées socialement et historiquement déterminées – est inscrite dans notre chair, nos perceptions, nos désirs. Nous percevons le monde à travers un inconscient social – ensemble de structures et de schémas sociaux incorporés et que nous ne voyons pas. Montaigne : « la coutume est notre seconde nature ».

ii) Impossibilité de dissocier le culturel du naturel en l’homme. Peut-on retrouver notre « vraie nature » derrière les schémas artificiels de la culture  (le corps, la nature / l’esprit, la culture) ? Impossible : la culture (les significations sociales) est ancrée dans le corps. Texte de Merleau-Ponty : pas un geste qui ne soit, chez l’homme, détourné de son sens simplement biologique. Toute action humaine se double d’une mise en scène et d’une mise en sens imaginaire. Ex. « embrasser dans l’amour » : geste artificiel et signifiant (engage l’imagination d’un rapport particulier à l’autre) variable selon les cultures – non geste instinctif et sans sens. Tout geste et conduite humains = de l’esprit (sens) incarné = du corps spiritualisé.

iii) La perception humaine fait de la nature une « forêt de symboles » (Baudelaire). Les choses perçues se doublent d’un sens imaginaire = des symboles. Symbole = unité d’un signifiant (matériel) et d’un signifié (sens imaginaire). Le monde humain devient un langage = tissé d’imaginaire, la substance même du rêve. Descartes : « De l’eau, toujours de l’eau ; mais elle a toujours un autre goût quand on la boit à la source même, plutôt que dans une cruche ou à la rivière ». Le goût n’est pas un rapport immédiat et corporel = indissociablement tissé de significations imaginaire (la Pureté, la Nature…) – cf. encore boire après un autre, dans un verre sale, seul, etc. « L’homme habite en poète sur la Terre » (Holderlin) : transforme la matérialité muette du monde en significations (imaginaires, spirituelles). Texte de White - « ce n’était pas le même soleil » : cf. ce qu’est le soleil pour l’homme (Maupassant, Le Lorrain, Van Gogh). Vérité de la poésie : faire revivre et déployer les métaphores gelées – sédimentées - figées en notre perception (ex. du dégoût : boire après un autre; a contrario : boire après Elle – déployer le poème qui se rêve déjà au contact du verre effleuré par l’aimée).

 

b) La culture met en forme l’homme et le rend capable de liberté.

. Sculpteur : ordonne, donne sens et structure à la terre informe. Texte d’Aristote : en dehors de la société, homme = monstre ou dieu. Dieu = autosuffisant ; monstre = difforme, non formé. Ex. des « enfants sauvages » : forme extérieure (corps, stature, visage) et intérieure (pensées, désirs, affects) = animale. A contrario, éducation = spiritualisation et socialisation de l’enfant humain (passage de l’asocialité muette privée au monde commun partagé). « La Cité [ici=société] est antérieure à l’individu » : comme l’organisme / main (vivante que si intégrée dans la totalité organique), le corps vivant n’est pas une somme de parties mortes, cf. Frankenstein – la société n’est pas une somme d’individus asociaux. La société précède l’individu (cf. intro) et est la condition interne de son humanité (donc de sa conscience et de sa liberté). Aristote – la parole, propre de l’homme (non cri = rapport immédiat / affects) = déployer sa pensée sur un horizon social commun de compréhension (cf. cours / raison). « Nous pensons dans les mots » (Hegel) (introjectés lors de la socialisation) : la pensée est sociale par essence – et vide et nulle sans cela (réduction à la sensation informe).

. Si donc la culture est la condition de la liberté humaine c’est que : a) l’interdit (le « non ») opposé à la réalisation du désir immédiat de l’enfant crée les conditions de la distance (médiation, délai) à travers lequel la maîtrise et le progrès de soi vont devenir possibles ; b) l’accession au langage ouvre vers le commun et l’ailleurs ; c) l’éducation est développement des puissances (capacités) du sujet ; d) par l’éducation, la culture qui est mémoire de l’humanité (Pascal) pénètre l’individu et lui permet de bénéficier des progrès de l’espèce sans avoir à recommencer par lui-même le long travail de l’invention.

 

c) La mise en forme de l’homme par la société est normalisation. Si société = condition de conscience et liberté, = aussi obstacle. Mise en forme = aussi mise en norme, normalisation rigide du comportement, des désirs, des pensées. Cf. l’histoire humaine = spectacle de la servitude non de la liberté, les sociétés produisant par millions des individus fonctionnant selon des fins et des normes sociales rigides.

 

i) L’institution religieuse de la société.

. L’immense majorité des sociétés de l’histoire = institution religieuse. Religion = mythes + rites (cf. I) structurant et normant la vie sociale sous leur ordre rigide. Exemple de la société Incas décrite par Hergé dans Tintin et le temple du soleil : les corps, les désirs, l’espace, les temps de vie, la hiérarchie sociale = incarnation et répétition d’un modèle religieux posé comme transcendant (extérieur à la volonté des hommes : opp = immanent) et incontestable. Si ce modèle est analogue à un script, les Incas – et verrons-nous tout individu socialisé – en jouant sans le savoir leur rôle font du cinéma inconscient de soi (cf. les paroles de Tournesol). Texte de Eliade : la vie de l’homme religieux = répétition d’un modèle antérieur et supérieur à lui (« l’essentiel – soit tout à la fois la réalité et la valeur suprêmes - précède l’existence – soit la réalité actuelle, ce qui existe présentement »). Opp. à la liberté de l’homme sartrien (« l’existence précède l’essence », cf. première partie) : l’homme religieux vit dans les réponses.

 

ii) Les sociétés libérées de l’institution religieuse rigide de la société ne sont donc pas pour autant libres.

. Société moderne : nous sommes les enfants d’une culture qui a rompu avec l’institution religieuse rigide de la société (depuis l’invention grecque de la démocratie et de la pensée libre, en passant par le travail des lumières et des révolutions en Occident…) – la dimension de la conscience réflexive de soi, soit le principe d’autonomie sous la norme de la raison (cf. texte de Kant sur les Lumières) travaille notre histoire et remodèle nos pratiques et institutions (politique, éducative, familiale, etc.). Le principe de libre choix gouverne tant la vie publique (démocratie) que la vie privée (liberté individuelle) ; la science (soit, semble t’il (cf. critique I.b), la raison elle-même) gouverne notre conscience du réel. Ce pourquoi la plupart se pensent sans dieu ni maître et rient de la grossièreté crédule des mondes anciens (cf. manière symptomatique dont est traité le miracle de l’ouverture de la mer rouge par Moïse dans Bruce tout puissant de Tom Shadyac– et la très belle mise en scène de la mort des mondes religieux dans les Invasions barbares de Denys Arcand).

. Et cependant les hommes, prétendus libres, éclairés et maîtres d’eux-mêmes, restent gouvernés à leur insu et aliénés par des significations imaginaires sociales inquestionnées (scripts, scénarios dont ils ne sont pas les auteurs).

. Exemple d’une telle aliénation sociale à travers la lecture de scènes du film La belle verte de Colline Serreau. Les humains y sont dit « connectés » = pris dans les filets d’un inconscient dont Mila, l’héroïne extra-terrestre, en Socrate magicienne (Socrate : par le biais du seul discours), va les libérer.

 

. Max Faron joue pour les autres et lui-même le rôle d’un médecin-chef : domine et instrumentalise les autres selon le point de vue analytique (dissection des corps, découpage visuel et classification de l’autre en symptômes) du savoir médecin (sur la domination inconsciente de ce type de savoir, cf. Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique). Se voit à travers les filets de « l’amour-propre » (concept de Rousseau dans le discours sur l’origine de l’inégalité : se voir et s’aimer soi-même non tel qu’on est (distinction amour propre / amour de soi) mais tel qu’on imagine être pour les autres – Max Faron devant sa glace : bombe le torse, fronce le sourcil… - se met en scène contre et face aux autres imaginés dans une quête de distinction). Déconnection : ne sait plus rien – voit le réel comme pour la première fois – étonnement. 1) Chevelure de Gérard : l’appelle par son nom propre – voit la personne dans sa singularité (« tu – vous ») – et non plus la fonction dans sa généralité (« il ») ; perçoit la rigidité de la norme / chevelure : appel à une « vie frisée » (Nietzsche : faire danser la vie) = un corps débridé en accord avec la ligne de désir et de vie éteinte par une vie de fonction-naire dans des mouvements froids et répétitifs ; 2) La sage-femme : le savoir du technicien (l’analyse : couper, classer, etc.) n’est pas le savoir de l’essentiel = la vie – Max Faron ne sait rien de la vie. Pour savoir ce qu’est la vie : se mettre à l’écoute de – distinction entre le savoir distant de l’intelligence technicienne et l’intuition bergsonienne (cf. 1.b.e) qui est connaissance par sympathie des autres lignes de vie. Lien à Socrate : Socrate, fils d’une sage-femme, se disait lui-même « accoucheur des âmes » (aidant les âmes par la parole à sortir de la méconnaissance pour se connaître elles-mêmes). Ici le sage (Max Faron, celui qui sait) se comprend comme non-sage – « je sais que je ne sais rien » (Apologie de Socrate) – celui qui est à l’écoute de la vie (ici la sage-femme) en sait bien plus que lui ; 3) La patiente : brise la distance du savoir (l’embrasse), se met à son écoute dans la position de disciple (à genoux et en dessous / domination antérieure du médecin – au-dessus et la patiente = prise comme symptôme dans les filets de ses questions). Apprend d’elle devant le regard éberlué de ses collègues invités eux-aussi par cet exemple à se déconnecter.    (Cf. http://tagetalex.free.fr/deconnection.html)

. Or ce qui est vrai de Max Faron le serait de nous tous – connectés sans le savoir :

. Ex. 1) Le match de foot : attaque contre la culture dite populaire. Spectateurs : masse moutonnière en extase (hors de soi – pas de repli dans la dimension intérieure de la pensée), potentiellement violente (un grand corps sans contrôle – apparence de vagues dans la mer) prête à suivre n’importe quoi (après l’arbitraire de la couleur « bleue » ou « rouge », le salut fasciste) ; divertissement (Pascal : fuite de soi – soit de la contemplation de la misère de ce que je suis et, plus largement, fuite du réel) comme une fuite hors de l’univers réel de l’exploitation au travail où, sans conscience politique, ils ne luttent pas ; modalité fruste du loisir (sans création ni élévation), strict corrélat du corps abruti par le travail (Hannah Arendt) ; jouant sans le savoir le jeu des pouvoirs (pouvoir de l’argent – l’industrie du football ; pouvoir politique : « du pain et des jeux » - conception romaine consistant à nourrir le peuple à coups de jeux afin que dans l’abrutissement, sa conscience, satisfaite, s’endorme et ainsi ne se révolte pas). Acteurs : là aussi règne de l’amour-propre – quête de la renommée et donc lutte pour la première place ; professionnalisation du football et perte de l’esprit du jeu ; valeur de virilité éliminant la douceur et la grâce ; haine des homosexuels masquant selon l’auteur une hypothétique homosexualité refoulée ; enfermement dans des règles empêchant la libre créativité des corps (esprit de la danse). 

. Ex. 2) Le concert de musique classique : attaque contre une culture dite intellectuelle. Spectateurs : oubli et fuite du réel dans l’art (divertissement) ; classicisme de l’écoute (fermeture aux autres et aux nouvelles formes – le rock, le rap, le french cancan…) ; goûts de classe affichés (règne de l’amour-propre). Acteurs : enfermement dans un rôle limité et un modèle rigide sans expression véritable des profondeurs du moi c’est-à-dire création (l’improvisation). A la critique du concert classique succède celle des concerts populaires : cf. les « concerts de silence » comme une expression subtile de l’esprit de la musique (valeur du silence en musique qui est encore musical) opposé au bruit ou au « son » qui sature l’espace d’écoute.

. Plus globalement : idée intéressante d’une société plus évoluée – étudiant la nôtre en « archéologie » alors que spontanément nous prenons pour naturelle et donc éternelle la norme historique de notre comportement (autre manière de dire ce qu’est la « connection » - idée de Nietzsche et Marx). Et, de fait, nous commençons tout juste l’histoire de l’humanité (cf. remarque de « Jésus » à Don Camillo). Or à l’aune d’un temps supposé en progrès – celui de La belle verte – nous apparaissons comme des sous-développés : ordre des corps incapables de danser soit de déployer leur potentialité dans une libre création de soi ; enfermement dans une logique stérile du travail et de la consommation ; soumission à des modèles de pouvoir (« tous des chefs ») manifestant le règne de « l’amour-propre » au dépend de « l’amour de soi » (Rousseau à nouveau) soit de la culture de ce que nous sommes véritablement au fond, à savoir puissance créatrice désirante polarisée par l’infini.

. Critique du film cependant : l’idée d’une forme de retour à la nature (« la belle verte », le retour au cru, absence apparente de machines, etc.) comme - tout à la fois - harmonie, spontanéité, longévité, liberté et créativité dissimule quelque peu le fait du travail de la culture. La nature n’est pas spontanément harmonieuse - cf. loi de la jungle. Et seule la technique permet de se libérer de la pression de la nécessité (cf. par ex. la guerre du feu de Jean-Jacques Annaud). Sur cette voie la machine (ensemble automatisé de mouvements produisant un but utile) - comme le dit Bergson – est un instrument de libération. Pas de liberté sans technique, par conséquent : tout à la fois outils et machines libérant potentiellement du temps de loisir et de liberté ; et techniques subjectives – c’est-à-dire culture – pour rendre possible le déploiement des libertés : l’improvisation des musiciens, par ex., nécessite comme condition de possibilité des années de solfège, d’apprentissage mécanique des règles et des mouvements… autrement dit, le travail d’une culture sédimentée en habitudes c’est-à-dire ici des techniques incorporées (ou subjectives). Les grands pouvoirs des hommes de La belle verte (communication, déplacement, etc.) ne sont compréhensibles que sur la base d’une culture technique accumulée des millénaires durant – et non, comme il est laissé parfois supposé, par simple retour à la nature.

 

. Par conséquent - et quoi qu’il en soit - jouant notre rôle à partir d’un script dont nous n’avons nulle conscience du caractère relatif et inventé, posant comme naturel et éternel ce qui n’est qu’historique et, assurément, destiné à être dépassé, comme les Incas moqués par Hergé, nous continuons, à notre insu, à (nous) faire du cinéma (inconscient de soi) – la différence centrale avec une société religieuse étant cependant que nous sommes socialement éduqués à pouvoir le comprendre et capables, par conséquent, de transformer nos vies.

 

 

 

Conclusion générale – la matière, le vivant, l’esprit, la conscience, le désir, la liberté, la conscience, l’inconscient.

 

1) Loin donc d’être cet être détaché de toute nature et surplombant le monde depuis les hauteurs d’une conscience transparente et libérée, le sujet concret est un être pris dans une multitude de réseaux – biologiques, psychiques, sociaux – réseaux qui, conditions intérieures de son regard, de sa pensée et de ses désirs lui sont, dans l’attitude non réfléchie de la conscience immédiate, invisibles. Percevant le monde à partir de structures qu’il n’a jamais ni interrogées ni choisies, on comprend ainsi comment l’individu intérieurement enchaîné peut méconnaître ses chaînes et se croire pleinement libre alors même qu’aliéné, il ne fait qu’obéir à des forces extérieures (intériorisées). Aussi la conscience dans son immédiateté n’est-elle pas connaissance (c'est-à-dire savoir vrai de soi comme du monde) mais bien plutôt méconnaissance et illusion de connaissance puisque ne saisissant pas sa propre relativité, soit sa production depuis ses inconscients.

 

2) Comment dans un tel cadre penser la liberté ? Loin d’être immédiatement donnée – sinon comme potentialité qui différencie, en effet, l’humanité de l’animalité – cette dernière est une tâche. On pourrait croire qu’il s’agit avec elle, essentiellement, de se libérer des inconscients en faisant, par la raison, advenir une pleine conscience du monde, libérée de ses attaches. Tel est le projet des Lumières suivant en cela l’exigence socratique (cf. texte de Kant, Qu’est-ce que les lumières ?) : éliminer toutes les zones d’ombres pour faire advenir le règne de la raison (tant pour l’individu que pour la société). Une telle tâche quoique infinie (Kant), donne t’elle cependant le sens plein de la liberté ?

 

3) Il ne faut, en effet, pas oublier que si les inconscients sont pensables comme une chaîne intérieure (qui détermine et limite), ils sont aussi tout à la fois des puissances génératrices (qui produisent et ouvrent). Loin d’être simplement ce qui empêche la connaissance, ils sont ce qui la rend possible : pas de conscience effective sans la puissance de l’espèce, sans celle de l’imagination qui nous traverse et propulse, de la société, enfin, qui, par l’éducation, constitue, oriente et élève nos possibilités. Nous ne sommes pas, en effet, des sujets solitaires devant tout à nous-mêmes ou devant – dans un idéal d’autonomie (= faire sa propre loi) – tout devoir à nous-mêmes : nous sommes ce que nous sommes par le biais de puissances qui nous ont - et continuent à - nous engendrer, qui nous traversent et dont nous ne pouvons que par l’abstraction de l’intelligence nous séparer. Plutôt donc et avant de nous mettre à lutter contre – l’espèce, le psychisme inconscient, la société – sous risque tant de nous mécomprendre que de manquer le sens de notre liberté, considérons-nous nous-mêmes comme le chapitre d’une histoire pensable comme celle de la liberté.

 

4) C’est, en effet, l’histoire de cette dernière qu’avec les philosophies de Bergson (L’évolution créatrice) et, plus récemment, de Hans Jonas (Le phénomène de la vie) nous pouvons retracer. Celle-ci s’ancrerait dans le dynamisme créateur de la nature, nature pensée, sur un modèle évolutionniste, comme foncièrement historique.

 

a)     Commençons par ce qui peut sembler un état premier (mais l’est-il ?) – la matière sans vie. Pour les physiciens contemporains – Big bang, il y a 15 milliards d’années. Question de l’origine : qu’y avait-il avant ? « L’univers » du Big Bang n’est-il pas un monde limité dans l’infinité du temps et de l’espace ? Et quelle est la puissance qui l’a, lui-même, engendré ? Conception courante et matérialiste de la science : origine = mystérieuse, hors du champ de la science – reste que depuis le Big Bang le processus de structuration du monde s’expliquerait selon des lois purement physiques. Ex. de la structuration des galaxies en fonction de la loi d’attraction universelle et des lois de réactions nucléaires (cf. les livres d’Hubert Reeves pour une approche vulgarisatrice passionnante) (cf. tableau « the big bang theory »).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b)     Trois conceptions, par conséquent, sur l’émergence de la vie. Soit :

 

1) La vie serait une étape de la complexification de la matière sans vie (point de vue le plus courant des scientifiques ; c’est déjà celui, atomiste, de Démocrite et Epicure) ;

 

2) La matière rencontrerait une force vitale d’une autre origine et nature qu’elle (Bergson) – dans ces deux dernier cas, la matière est toute entière extériorité spatiale (absence d’intériorité, soit de dynamisme interne de type désir), déterminisme ou nécessité (abs. de liberté), inertie (suit indéfiniment son mouvement, sauf choc extérieur). Expérience le rendant sensible : l’inertie d’une pierre, la décomposition des corps morts… Comment toutefois la matière peut-elle être traversée par une autre force qu’elle si cette force n’est pas matérielle ? i) Il faut déjà il y ait de la place pour elle – autrement dit, dit Bergson, suivant en cela un argument d’Epicure, que la matière ne soit pas déterminisme intégral mais qu’il y ait une forme d’indétermination objective en elle (le « clinamen » d’Epicure et Lucrèce – légère déviation au hasard des atomes empêchant que l’inertie soit totale) - indétermination qui rend possible le fait d’en faire quelque chose selon un désir ou une volonté extérieure à ses lois. Note : la physique quantique contemporaine contrairement à la physique classique reconnaît, pour une part, un tel hasard objectif du non pas à une déficience de nos moyens de connaissance (idée déterministe d’Einstein) mais à la réalité quantique elle-même. ii) Pb. logique spinoziste (l’Ethique) : ne peuvent agir l’une sur l’autre que des êtres de substance identique (une note de musique, par ex., agit éventuellement sur la température non en tant que musique, mais parce que toutes deux sont, en un sens, réductibles à une même substance à savoir le mouvement spatial) – d’après un tel argument, il ne pourrait y avoir qu’une substance (monisme opposé au dualisme) – il faudrait donc que l’âme et le corps, le corps et la vie soient une seule et même chose : mais quoi ? (= quoi de telle façon que la vie au sens biologique et la vie de l’esprit soient pleinement comprises) ;

 

3) La matière serait déjà secrètement vivante (Aristote, Leibniz, Hegel, autre hypothèse de Bergson, Ruyer) de telle façon que l’émergence de la vie ne serait rien d’autre que le creusement et le déploiement de potentialités qui sont inscrites en elles. Logique d’une telle hypothèse : argument moniste précédent + existence des multiples formes de vie et de l’esprit + hypothèse très probable de l’évolution – il faut bien que ces réalités (dont il faudra reconnaître la modalité) soient possibles, il faut donc qu’elles soient en creux dans l’état initial – donc, par hyp., déjà potentiellement vivant. Inversion de la logique mécaniste matérialiste (le supérieur vient de (est produit par) l’inférieur (Engels)) – ici : le supérieur (l’esprit, la vie) rend compte de ce qu’est l’inférieur (la matière).

 

c)     Encore faudrait-il savoir ce qu’est la vie. Deux manières de la penser : matérialisme (hyp. 1 : tout dans le corps est matière) ou une forme ou une autre de vitalisme (présence d’un dynamisme et principe d’organisation interne irréductible à la logique de la seule matière).

 

1) Hypothèse matérialiste : Descartes et l’animal machine (cf. texte) – l’organisme comme machine suivant les mêmes lois mécaniques que les machines artificielles. Pb 1 : qui en est l’ingénieur ? Improbabilité extrême du hasard immédiat (quasi-impossibilité – cf. texte de Cicéron et calculs de Kaplan – notion de hasard impossible). Réponse de Lamarck puis Darwin – séries additionnelles et cumulative de hasards dans un temps très long : Darwinisme - principe de la sélection naturelle (mutations aléatoires + lutte pour la survie = sélections des plus aptes). Même argument – quasi-impossibilité (argument de Bergson sur l’œil). Pb 2 : comment rendre compte de l’émergence de la conscience (capacité de se sentir et se penser soi-même, par principe, étrangère à ce que nous pensons être la matière) dans le vivant ? Soit négation de la conscience comme épiphénomène (phénomène secondaire), soit ajout de l’extérieur (hypothèse d’un Dieu qui insuffle l’âme). Pb 3 : comment rendre compte de ces caractères propres de la vie qui semblent irréductibles à la logique de la matière – croissance vers une forme (ex. de la graine à la fleur), maintien de la forme et de l’identité non pas seulement malgré mais par le changement continuel de matière (Locke), auto-réparation et auto-réplication (Kant) ? Note sur les défauts de l’ « explication » génétique (sens courant – le génome serait la mémoire matérielle de l’espèce expliquant tout à la fois la transmission des caractères et l’organisation du vivant – modèle de l’ordinateur (programme, information)). Mais : i ) Absence de liens directs et connus génome / phénotype macroscopique = structures et caractères (sauf deux-trois cas – cf. pois plissé, couleur des yeux) mais seulement génome / protéines (microscopique) ; ii) D’où : pour que la structure se régule et s’auto-organise (genèse et conservation), il ne suffit pas de « l’ordre » supposé des gènes mais il faut la régulation de la cellule entière (pas d’ADN sans cellule – et on prétend expliquer la cellule par l’ADN qui n’en est qu’une partie) – ce qui nous ramène au problème de la nature de l’organisme ; iii) Enfin, une « information » doit être lue – là encore par un organisme capable de « pour soi » (se viser et se faire soi-même, se distinguer de ce qui n’est pas soi), supposé et non expliqué.

 

2) Approche compréhensive du vivant. Bergson : nous sommes vivants et nous avons de la vie un savoir intérieur. Différence explication (distance, extérieure à) / compréhension (partage, intérieure à). Ex. Nietzsche et la musique : différence entre celui qui, de l’extérieur, sans la comprendre, expliquerait ses figures sans comprendre ni leur sens ni leur principe générateur / celui qui, de l’intérieur, éprouve sa vie propre et est capable de l’engendrer. Aristote, De anima : notion d’âme = au sens large de désir comme tension intérieure organisatrice vers une forme ouvrant la dimension de l’à-venir. Image de la nature non comme ensemble de choses inertes (tableau de paysage) ou d’évènements seulement causés par des chocs externes (mécanisme) mais comme travaillée par la puissance interne de multiples désirs (cf. ex. de d’éros qui, selon Platon, transit la nature entière) soit par la vie derrière ce qui, extérieurement, nous apparaît comme chose.

 

d)     Or si l’évolution est une hypothèse hautement probable (anatomie comparée, paléontologie, embryologie et aujourd’hui génétique), comment penser l’histoire de cette vie (et plus largement, peut-être, de l’univers) ?

 

i) De formes moins complexes (3-4 milliards d’années sur Terre, des bactéries) à des formes de plus en plus complexes (embranchement de créations : organismes polycellulaires comme société de cellules ; naissance des formes végétales et animales ; les sociétés « parfaites » des insectes comme hyper-organisme; création de l’intelligence et, avec elle, des premiers outils ; sociétés humaines et homme comme l’être dont la forme finale n’est ni définie, ni achevée ; histoire humaine comme invention relativement cumulative de savoir-faire, outils et machines, d’un côté, de civilisations constituées de significations imaginaires sociales, de l’autre ; avènement de sociétés dites « ouvertes » soit libérée des significations imaginaires sociales rigides des mondes religieux… - et quel avenir ?).  Si chaque vivant a donc une âme (au sens aristotélicien – et non chrétien - comme âme mortelle) immanente et, par là, un sens défini à sa vie (accomplir sa forme parfaite), la vie est le mouvement qui traverse les vivants (il y a une continuité entre tous les êtres vivants – toute vie particulière provenant d’une vie antérieure, si bien qu’à tout considérer nous (la vie en nous) sommes vieux d’au moins plusieurs milliards d’années) et crée les formes singulières de vie. Or si la vie est « tension vers » donc, en son fond, désir, vers quoi tend-elle donc ? Autrement dit : quel est le sens (direction, signification) de ces créations de plus en plus complexes formant évolution ? (cf. Bergson, La conscience et la vie, http://tagetalex.free.fr/bergsonsommaire.html).

 

 

ii) On peut lire, avec Bergson, dans ces créations, la ligne d’un développement de la liberté (cf. aussi, Hans Jonas :  http://tagetalex.free.fr/Jonas.htm). a) Premier degré de la liberté – l’indétermination relative ou la présence d’un hasard matériel objectif (cf. + haut). Non liberté en terme de choix mais en terme de libération / déterminisme, soit l’ordre nécessaire des causes et effets; b) Second degré (le métabolisme) – l’indépendance relative de l’organisme vivant / matière : maintient sa forme en relative autonomie / chocs et mouvements externes dans une visée et une activité d’organisation de soi permanentes. Liberté non encore comme choix de soi, ni comme simple indétermination, mais comme construction autonome (selon sa seule loi) de forme ; c) Avec les formes complexes de l’évolution, le développement de cette seconde liberté comme puissance croissante de poser sa loi en l’imposant au réel ; d) Création de l’animalité – centralisation, motricité, perception et émotion – manifestant une libération / ancrage dans le lieu et la torpeur végétale ainsi qu’un creusement de la dimension intérieure (perception, émotion) libérant davantage encore de la soumission relative au monde extérieur : des mondes propres s’ouvrent autour des animaux (cf. I.a) ; e) L’intelligence : capacité de résoudre des problèmes consciemment en construisant des techniques. Ouverture d’une nouvelle dimension – projeter un problème « devant soi » / en laissant pour un temps de côté la perception et réactions (relativement) immédiates. Libération croissante / soumission à l’environnement ; f) L’homme – seul être sur Terre dont la fin soit indéterminée, qui n’ait pas inscrit en lui-même le sens de sa vie : de là, l’ouverture indéfinie de sa conscience, sa capacité créative, son inquiétude fondamentale et son errance (cf. première partie du cours sur la conscience). Sa liberté supérieure consiste ainsi, en un premier sens, dans le fait d’une telle libération vis à vis des formes de vie définies qu’accomplissent les autres espèces ; ce n’est cependant qu’un premier degré de la liberté humaine ; g) Si « l’homme » n’est qu’une abstraction, seul existant l’homme en société (cf. 4.a), l’histoire de la liberté au sens humain du mot est celle-même des formes sociales. C’est ainsi que Bergson (après Hegel) perçoit dans l’histoire quelque chose comme un sens en continuité avec ce qui lui semble le sens même de la vie (Les deux sources de la morale et de la religion) : des cultures closes aux cultures ouvertes et désenclavées ; de la séparation des hommes en groupes fermés à leur unité ; de la socialisation rigide de l’humain à son individualisation par la société (culture de la liberté) ; d’une culture de la répétition à une culture de la création ; des formes politiques rigides à des formes plus souples où souffle l’esprit de la liberté ; de la violence de la loi du plus fort à l’idée d’humanité ; et peut-être encore, de la séparation des espèces dans l’auto-dévoration aveugle à la prise de conscience de l’unité de la vie…- il y a là des lignes de sens certes traversées par des conflits, des guerres, des retours en arrière, des exploitations sordides, des destructions absurdes… qui permettent cependant tant de ne pas désespérer de l’humanité que de penser cette dernière dans sa relation au sens plus global et profond de la vie et de tracer, enfin, au creux du réel les lignes de ce qui doit-être et de ce pour quoi nous devons lutter ; car quel est au fond ce sens pressenti au fond de nous qui, sous les nom de « mal », d’ « absurde », de « barbarie »… nous font saisir comme non-sens des situations réelles et nous donnent la force pour nous en révolter sinon, peut-être, selon Bergson encore, la vie elle-même qui, à travers nous, continue son ouvrage ? Reconnaissons-en effet que nous ne choisissons pas nos idéaux, ceux-ci provenant essentiellement d’un milieu socio-historique qu’il ne faut pas seulement penser, au nom d’une liberté idéale peut-être vide et abstraite (sujet absolu tel Dieu), comme une limitation ou un formatage de notre liberté mais comme tout à la fois déjà le produit de l’histoire sociale de la liberté et donc, en ce sens, une étape de cette dernière et, par conséquent, le sol de notre propre liberté, serait-il aussi celui de notre révolte (pas de révolution ni bourgeoise ni communiste pensable, par ex., sur le sol social d’une culture préhistorique, égyptienne ou Inca… - dit autrement, c’est au nom d’idéaux déjà présent en creux au sein de notre monde que nous nous révoltons contre lui).

 

 

e)     Retraçons maintenant ce qui semble la logique vivante d’une telle évolution :

 

i)                   Chaque création est la condition de possibilité des suivantes – conception tout aussi vraie dans une conception darwinienne que bergsonienne. Cette conservation des transformations constituant une mémoire de l’évolution (dont le support est d’abord organique – via le génome – puis symbolique – via les cultures), tremplin pour les créations futures. On comprend ainsi que cet héritage, formant l’essentiel de ce que nous avons plus haut nommé les inconscients (puisqu’il est la condition de possibilité de notre être et donc de notre conscience dans sa structure et ses horizons ; puisque la conscience ne sait immédiatement rien de ces puissances évolutives qui la portent et la poussent), n’est pas à combattre et à abolir dans un idéal abstrait et vide de la liberté mais, bien plutôt, à comprendre et continuer.

 

Cette ligne d’évolution vers la liberté est pensable comme unifiant indissociablement progrès technique et approfondissement-enrichissement-élargissement de la conscience :

 

ii)                 Technique 

. Au sens large, ensemble des moyens matériels en vue d’accomplir une fin donnée. Le progrès de la vie est indissociable d’inventions organiques ou techniques organiques – invention d’une machinerie organique (ensemble automatiques de mouvements coordonnés)(ex. la photosynthèse ; l’estomac comme machine digérante ; la machine cérébrale…) et d’outils organiques (le flagelle pour se mouvoir, la carapace pour se protéger; l’aile ; etc.). Logique : a) montages techniques de plus en plus compliqués prenant appui sur les constructions précédentes ; b) cette suite de montages en construisant des chaînes automatiques de mouvements matériels permet une action de plus en plus efficace sur la matière ; c) l’efficacité de cette action libère le vivant pour d’autres tâches possibles. Analogie avec l’habitude humaine (ex. le tennis) : 1) absence d’automatisme – non efficacité de l’action (soumission relative aux facteurs extérieurs) – conscience toute entière centrée sur la technique non acquise ; 2) Habitude = technique acquise incorporée - savoir-faire qui enchaîne automatiquement les mouvements ; permet une action extrêmement efficace nous libérant de la domination des facteurs matériels externes ; libère la conscience pour la stratégie, par ex. Pour Bergson, ce qui est vrai de l’habitude humaine le serait de l’évolution technique du vivant dans la mesure où il n’y a pas de coupure essentielle entre vivants et humain, nature et culture, naturel et artificiel. En ce sens, selon une idée partagée par Leroi-Gourhan, l’évolution technique humaine continuerait l’évolution de la vie : une centrale nucléaire, un ordinateur… seraient le prolongement du geste qui a inventé la machinerie cellulaire ou cérébrale. Nulle coupure essentielle donc entre nature et technique comme le voudraient certains écologistes radicaux mais, et en ceci, le mythe de Prométhée (cf. première partie) reste en partie vrai, une nouvelle étape de l’évolution naturelle tout à la fois rompant et continuant avec la logique technique antérieure de l’évolution. Cette technique humaine prend appui sur la création naturelle de l’intelligence en certaines branches de l’animalité, intelligence conceptualisable comme une faculté consciente de résoudre des problèmes par l’invention de techniques postérieures et extérieures à la structure innée de l’organisme (savoir-faire, outils) (ex. de la corneille « Betty » qui, afin d’accéder à un morceau de viande bloqué au fond d’un tube trop long pour son bec, invente un procédé consistant à tordre et utiliser un morceau de fil de fer pour servir de crochet - l’intelligence suppose donc : a) un arrêt de l’action – on ne se jette pas sur la nourriture ; b) une capacité d’analyse de la situation – décomposition par la pensée de la situation globale en parties : la longueur et la forme du tube / la longueur et la forme du morceau de fer / celles du morceau de viande ; c) une capacité de construction ou d’assemblage (synthèse) mental des éléments analysés en fonction d’un but projeté : comment lier ces différents éléments afin d’attraper le morceau de viande ? ; d) c’est en fonction de ce schéma inventé par son intelligence que Betty accomplit méthodiquement son action). L’humain se distingue en ceci par une créativité technique désengagée de son ancrage animal dans le besoin (l’intelligence et l’invention technique chez les animaux sont au service d’un besoin relativement rigide – pas ou quasiment pas d’invention « pour rien » chez les animaux, le petit enfant s’enchantant au contraire, par ex., de construire des œuvres biologiquement inutiles avec ses « mécanos »), le caractère cumulatif possible de ces inventions par le biais de la mémoire culturelle (sauf ébauche de mémoire culturelle existant en certains points chez certains animaux – ex. de la manière de casser une noix par écrasement chez les chimpanzés – qui, inventée, est apprise de générations en générations aux petits singes – les animaux dotés d’intelligence doivent réinventer des solutions techniques à chaque fois), la constitution progressive d’un milieu essentiellement artificiel (maisons, villes, etc. – routes, éclairage, chauffage, électricité, etc.) libérant tendanciellement la vie humaine de la soumission rigide aux forces et cycles de la nature ; enfin, formant le cœur vivant de ce milieu, un réseau évolutif de plus en plus vaste et serré de machines et, indissociablement, une division du travail accrue (spécialisation et échanges - cf. réseau tendanciellement mondial de l’économie). Or, comme il en a toujours été des inventions techniques de la vie, ces inventions techniques sont, selon Marx comme Bergson, potentiellement libératrices : augmentant la productivité du travail humain, elles dégagent la possibilité de libérer du temps de vie de la logique reproductrice, ouvrant pour la vie humaine de nouveaux possibles.

. Si cependant, selon ces auteurs, la technique humaine peut être au service de la production de futilités (Bergson – déjà l’idée de « société de consommation », cf. La cloaca de Wim Delvoye) et, plus tragiquement, de l’asservissement de l’humanité (Marx – cf. dissertation sur le travail) ce ne serait pas là essentiellement sa logique essentielle (naturelle) : il suffirait, selon Bergson, de remettre la technique « sur ses rails » (Bergson) c’est-à-dire de la resituer dans une histoire de la liberté qui est l’histoire même de la vie pour, dégageant grâce à elle, la vie humaine de sa soumission relative à la nécessité, rendre possible une société de liberté. Comment faire cependant, et selon Marx à nouveau, sans l’élimination de la division de la société en classes (capitalistes / prolétaires) qui est à la source d’une telle « déviation » (cf. cours sur la politique) ?

 

iii)               Approfondissement-enrichissement-élargissement de la conscience.

. Indissociable de cette puissance grandissante sur la matière (puisque libérant du temps, de l’énergie - et donc du possible - pour autre chose), Bergson lit la possibilité d’un déploiement et d’un développement de la conscience (non nécessaire encore cependant puisque le monde végétal utiliserait toute sa machinerie photosynthétique pour l’endormir ; puisque la technologie actuelle est aussi au service de la bêtise). Des premiers mondes-propres probablement très étroitement restreints car coïncidant avec la surface sensible de l’organisme (bactéries, amibes…) aux mondes animaux : élargissement de la bulle perceptive ; l’intelligence : déploiement d’une nouvelle dimension en abstraction relative vis-à-vis du monde perceptif et informant en retour ce dernier ; de là la possibilité de déployer un espace du jeu déjà à l’état naissant chez certains animaux ; rupture radicale avec l’humain : les bulles fermées des mondes propres s’ouvrent à l’infini – l’homme est l’être des horizons (cf. cours sur la conscience, première partie) ; cette ouverture vers l’infini est le strict corollaire de l’éclatement du besoin (cyclique, déterminé) en désir (polarisé par l’infini) ; l’histoire (ou les histoires) de la culture est, dès lors, pensable comme celle d’une création de mondes propres tentant de donner sens à la vie ; aux formes fermées de la culture, enfermant le sens dans des imaginaires clos et inconscients de soi succède dans l’histoire humaine des moment de rupture – par ex. l’invention de la démocratie et philosophie en Grèce ancienne ; la Renaissance ; les Lumières et la révolution française… - ces moments historiques sont pensables tout à la fois comme des prises de conscience (de l’enfermement, de l’aliénation antérieurs) et des progrès de la conscience (ouvrant de nouveaux horizons) ; mais ces ruptures sont aussi continuité, l’œuvre de l’humanité sédimentée en traces symboliques (œuvres d’art, livres) est potentiellement mémoire, nourriture et tremplin vers de nouvelles créations (cf. les génies de la Renaissance et l’art grec ; Picasso et l’art africain ; le jazz et la culture du blues…), soit de nouveaux mondes et de nouvelles consciences du monde…

. Or, ce mouvement potentiel – et partiellement réel - d’élargissement, enrichissement et approfondissement de la conscience est, selon Bergson, non pas celui seulement d’une prise de conscience de l’inexistence des dieux que les hommes s’inventent pour donner sens à leur existence et ainsi du caractère créateur de l’humain (de son histoire, de ses dieux), il est aussi, et indissociablement, par-delà la nécessaire critique des illusions religieuses, avènement d’un sens nouveau de la religion comme conscience supérieure du réel (supérieure, selon Bergson, à l’athéisme qui, ne serait ici, qu’un moment (partiel, à dépasser) de notre conscience). C’est, en ce sens notamment que, se faisant reconnaissance et connexion à la source créatrice, la critique des Lumières effaçant les faux dieux et les fausses légitimités (les inconscients), devrait se dépasser elle-même en reconnaissant la puissance créatrice qui, en suivant la voie bergsonienne, tout à la fois la porterait, la traverserait et lui donnerait son sens véritable.

 

iv)               Le sens de la religion selon Bergson. Cf. lien : cours sur la religion, 7et 8.

 

v)                 Le sens de la vie. Si nous sommes produits de la Vie et si la vie tend vers le développement de la vie soit vers plus de création, nous pouvons comprendre, au sein de notre époque, en tant qu’épisode singulier de l’histoire de la vie, quel pourrait être le sens de notre vie. Pour Bergson, en effet, le sens de ma vie singulière, c’est-à-dire tant la direction à lui donner que la signification qu’elle peut avoir, s’éclaire singulièrement si je la relie au fond qui l’engendre et donc elle n’est qu’une partie. A l’opposé du pessimisme de certains auteurs pour lesquels la vie humaine est absurde et vaine – divertissement (Pascal) ou cycle infernal d’un désir voltigeant d’illusions en illusions (Schopenhauer) – la nature étant radicalement étrangère au désir humain, Bergson pense cette nature comme traversée par une force créatrice et sensée, vis-à-vis de laquelle, je peux en effet me détacher – de là les sentiments mortifères et celui de l’absurde – mais à laquelle je dois me rattacher afin que ma vie prenne sens (direction et signification). Quatre sources de sens seraient ainsi compréhensibles :

 

-         Le travail, tout d’abord, qui, certes, peut être, et est aussi dans l’histoire aliénant – la finalité du travail se retournant, selon Marx, dans le capitalisme en force de mort. Telle n’est pas cependant, selon Marx encore, son essence profonde (cf. cours sur la conscience, 1ère partie). De quoi se plaignent, en effet, dans la misère de leur solitude les retraités et les chômeurs ? De quoi se meurent les oisifs au sein de l’opulence ? De leur « inutilité », de « ne servir à rien », d’être comme « un corps mort ». Et, en effet, qu’est-ce que le travail en son essence humaine sinon une force de vie mettant en forme la matière pour la que la vie se continue et s’enrichisse ? Rien de pire en ce sens que d’être contraint à des tâches inutiles – au contraire, le sens vécu du travail humain tient dans le sentiment d’être une force au service de la vie.

 

-         La génération et la filiation : qu’est-ce que le désir d’avoir et l’amour vis-à-vis de ses enfants, demande, en effet Bergson, sinon en son fond la révélation du sentiment que nous ne sommes que des « lieux de passage » de la vie. Une vie sans enfants n’est-elle pas souvent vécue comme une vie stérile – au sens principalement d’une vie à laquelle manque le sens de la vie  ? Certes alors les enfants peuvent être, comme le dit Nietzsche, comme le note Freud, une manière de grossir le moi, de se donner une éternité par procuration. Ils pourraient être le produit d’une ruse de la nature (Schopenhauer), visant à reproduire son cycle absurde (cf. II – l’inconscient biologique).

 

  « L'évolution en général se ferait, autant que possible, en ligne droite; chaque évolution spéciale est un processus circulaire. Comme des tourbillons de poussière soulevés par le vent qui passe, les vivants tournent sur eux-mêmes, suspendus au grand souffle de la vie. Ils sont donc relativement sta­bles, et contrefont même si bien l'immobilité que nous les traitons comme des choses plutôt que comme des progrès, oubliant que la permanence même de leur forme n'est que le dessin d'un mouvement. Parfois cependant se maté­rialise à nos yeux, dans une fugitive apparition, le souffle invisible qui les porte. Nous avons cette illumination soudaine devant certaines formes de l'amour maternel, si frappant, si touchant aussi chez la plupart des animaux, observable jusque dans la sollicitude de la plante pour sa graine. Cet amour, où quelques-uns ont vu le grand mystère de la vie, nous en livrerait peut-être le secret. Il nous montre chaque génération penchée sur celle qui la suivra. Il nous laisse entrevoir que l'être vivant est surtout un lieu de passage, et que l'essentiel de la vie tient dans le mouvement qui la transmet. » Bergson, L’Evolution créatrice »

 

Dans la perspective de Bergson, ils sont essentiellement, et au contraire, ce qui assure la continuité de la vie et l’espoir d’un « avantage » perceptible dans l’ambition que nous avons pour eux.

 

-         La création. S’ils vont dans le sens de la vie et luttent contre l’absurde, travail et filiation, ne donne pas , en tant que tels, encore le sens plein de la vie. C’est dans la joie que nous reconnaissons que notre vie prend sens. Or remarque Bergson, partout où il y a joie, il y a création, c’est-à-dire avènement à l’existence d’un être nouveau dont nous sommes l’origine. Création c’est-à-dire continuation en soi-même et par soi-même du sens de la Vie qui nous traverse et dépasse. Voilà pourquoi, les grands créateurs rayonnent – comme la source d’un foyer de vie nous invitant à suivre leur modèle –non en répétant mais en créant à notre tour.

 

« Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l'homme n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie ; il n'indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu'elle a conscience de l'avoir créé, phy­siquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d'usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en -raison de l'argent qu'il gagne et de la notoriété qu'il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu'il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu'il goûte de joie vraie est le sentiment d'avoir monté une entreprise qui marche, d'avoir appelé quelque chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l'artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. Vous entendrez dire que ces hommes travaillent pour la gloire et qu'ils tirent leurs joies les plus vives de l'admiration qu'ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l'éloge et aux honneurs dans l'exacte mesure où l'on n'est pas sûr d'avoir réussi.

 

Il y a de la modestie au fond de la vanité. C'est pour se rassurer qu'on cherche l'approbation, et c'est pour soutenir la vitalité peut-être insuffisante de son œuvre qu'on voudrait l'entourer de la chaude admiration des hommes, comme on met dans du coton l'enfant né avant terme. Mais celui qui est sûr, absolument sûr, d'avoir produit une œuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur, parce qu'il le sait, et parce que la joie qu'il en éprouve est une joie divine. Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas supposer que la vie humaine a sa raison d'être dans une création qui peut, à la différence de celle de l'artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l'agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu'il y avait de richesse dans le monde ? »

 

Bergson, La conscience et la vie

 

 

Faire la lumière sur nos inconscients - soit l’ensemble des forces qui nous poussent et structurent – serait ainsi assurément un détour indispensable pour forger les armes de notre propre liberté, mais, ce n’est peut-être pas là son sens essentiel ni dernier. Créer (son chemin de vie) ce n’est pas seulement, en effet, aller contre la tradition et les déterminismes, c’est aussi et indissociablement poursuivre la ligne créatrice qui les a, eux-mêmes, engendrés : fidélité et rupture, fidélité parce que rupture et rupture parce que fidélité – telle pourrait être la marche d’une vie libre et sensée.

 

 

 

 

 

Textes – la conscience and co , 2ème partie

 

1) Le point de vue de la conscience comme point de vue illusoire

 «

« La première considération que j’ai sur le sujet des sens, c’est que je mets en doute que l’homme soit pourvu de tous sens naturels. Je vois plusieurs animaux qui vivent une vie entière et parfaite, les uns sans la vue, les autres sans l’ouie : qui sait si en nous aussi il ne manque pas encore un, deux, trois et plusieurs autres sens ? Car, s’il en manque quelqu’un, notre discours n’en peut découvrir le défaut. C’est le privilège de sens d’être l’extrême borne de notre apercevance ; il n’y a rien au-delà d’eux qui nous puisse servir à les découvrir ; voire ni l’un sens n’en peut découvrir l’autre (…) Il est impossible de faire concevoir à un homme naturellement aveugle qu’il n’y voit pas (…). Par quoi nous ne devons prendre aucune assurance de ce que notre âme est contente et satisfaite de ceux que nous avons, vu qu’elle n’a pas de quoi sentir en cela sa maladie et son imperfection, si elle y est »                                                                                                    Montaigne, Essais, II, 12

 

« Vivre c'est rayonner, c'est organiser le milieu à partir d'un centre de référence qui ne peut lui-même être référé sans perdre sa signification originale ».                                                                                                     Canguilhem, la connaissance de la vie

 

« La meilleure façon d’entreprendre cette incursion, c’est de la commencer par un jour ensoleillé dans une prairie en fleurs, toute bruissante de coléoptères et parcourue de vols de papillons, et de construire autour de chacune des bestioles qui la peuplent une sorte de bulle de savon qui représente son milieu et se remplit de toutes les caractéristiques accessibles au sujet. Aussitôt que nous entrons nous-mêmes dans cette bulle, l’entourage qui s’étendait jusque-là autour du sujet se transforme complètement. De nombreux caractères de la prairie multicolore disparaissent, d’autres se détachent de l’ensemble, de nouveaux rapports se créent. Un nouveau monde se forme dans chaque bulle ».

Uexkull, Mondes animaux et mondes humains

 

« Tu ne vois que l’ordre et la police de ce petit caveau où tu es logé, au moins si tu la vois ; sa divinité a une juridiction infinie au-delà ; cette pièce n’est rien au prix du tout :  « Tout cela, en y joignant le ciel, la mer, la terre,  / N’est rien au regard de l’ensemble des ensembles ! » (Lucrèce, De la nature des choses, VI, 679). C’est une loi municipale que tu allègues, tu ne sais pas quelle est l’universelle »

« De là s’engendrent toutes les rêveries et erreurs desquelles le monde se trouve saisi, ramenant et pesant à sa balance chose si éloignée de son poids » (idem).                                                                                                              Montaigne, Essais

 

«  Il s’engendre beaucoup d’abus au monde ou, pour le dire plus hardiment, tous les abus du monde s’engendrent de ce qu’on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance, et que nous sommes tenus d’accepter tout ce que nous ne pouvons réfuter. Nous parlons de toutes choses par préceptes et résolution. […] On me fait haïr les choses vraisemblables quand on me les plante pour infaillibles. J’aime ces mots qui amollissent et modèrent la témérité de nos propositions : à l’aventure, aucunement, quelque, on dit, je pense, et semblables. Et si j’eusse eu à dresser des enfants, je leur eusse tant mis en la bouche cette façon de répondre, enquêteuse, non résolutive : qu’est-ce à dire ? Je ne l’entends pas, il pourrait être, est-il vrai ? Qu’ils eussent plutôt gardé la forme d’apprentis à soixante ans que de représenter les docteurs à dix ans, comme ils font. Qui veut guérir l’ignorance, il faut la confesser. Iris est fille de Thaumantis [Le nom du centaure Thaumas, père d’Iris, signifie « étonnement », « admiration »]. L’étonnement est fondement de toute philosophie, la recherche le progrès, l’ignorance le bout. Mais vraiment, il y a quelque ignorance forte et généreuse qui ne doit rien en honneur et en courage à la science, ignorance pour laquelle concevoir il n’y a pas moins de science que pour concevoir la science » (Montaigne, Essais)

 

 « Notre nouvel infini -  Savoir jusqu’où s’étend le caractère perspectiviste de l’existence ou même, si elle a en outre quelque autre caractère, si une existence sans interprétation, sans nul « sens » ne devient pas « non-sens », si d’autre part toute existence n’est pas essentiellement une existence interprétative – voilà ce que ne saurait décider l’intellect ni par l’analyse la plus laborieuse ni par son propre examen le plus consciencieux : puisque lors de l’analyse l’intellect humain ne peut faire autrement que de se voir sous ses formes perspectivistes, et rien qu’en elles. Nous ne pouvons regarder au-delà de notre angle, c’est une curiosité désespérée que de chercher à savoir quels autres genres d’intellects et de perspectives pourraient exister encore : par exemple, si quelques être sont capables de ressentir le temps régressivement ou dans un sens alternativement régressif et progressif (ce qui donnerait lieu à une autre orientation de la vie et à une autre notion de cause et d’effet). Mais je pense que nous sommes aujourd’hui éloignés tout au moins de cette ridicule immodestie de décréter à partir de notre angle que seules seraient valables les perspectives à partir de cet angle. Le monde au contraire nous est redevenu « infini » une fois de plus : pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu’il renferme une infinité d’interprétations. Une fois encore le grand frisson nous saisit : mais qui dont aurait envie de diviniser à l’ancienne manière ce monstre de monde inconnu ? Qui s’aviserait d’adorer cet inconnu désormais en tant que « dieu inconnu » ? Hélas, il est tant de possibilités non divines d’interprétation inscrites dans cet inconnu, trop de diableries, de sottises, de folies d’interprétation, notre propre humaine, trop humaine interprétation, que nous connaissons…» (Nietzsche, Le gai savoir, § 374)

 

2) L’inconscient biologique

« L’égoïsme en chaque homme a des racines si profondes, que les motifs égoïstes sont les seuls sur lesquels on puisse compter avec assurance pour exciter l’activité d’un être individuel. L’espèce, il est vrai, a sur l’individu un droit antérieur, plus immédiat et plus considérable que l’individualité éphémère. Pourtant, quand il faut que l’individu agisse et se sacrifie pour le maintien et le développement de l’espèce, son intelligence, toute dirigée vers les aspirations individuelles, a peine à comprendre  la nécessité de ce sacrifice et à s’y soumettre aussitôt. Pour atteindre ce but il faut donc que la nature abuse l’individu par quelque illusion, en vertu de laquelle il voit son propre bonheur dans ce qui n’est, en réalité, que le bien de l’espèce ; l’individu devient ainsi l’esclave inconscient de la nature, au moment où il croit n’obéir qu’à ses seuls désirs. Une pure chimère aussitôt évanouie flotte devant ses yeux et la fait agir. Cette illusion n’est autre que l’instinct. (…) L’enthousiasme vertigineux qui s’empare de l’homme à la vue d’une femme dont la beauté répond à son idéal, et fait luire à ses yeux le mirage du bonheur suprême s’il s’unit avec elle, n’est autre chose que le sens de l’espèce qui reconnaît son empreinte claire et brillante et qui par elle aimerait se perpétuer »                                                            Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation

 

 

 

-

 

 

 

 

 

« Deux bêtes, deux chiens, deux loups, deux renards, rôdent par les bois et se rencontrent. L’un est mâle, l’autre femelle. Ils s’accouplent. Ils s’accouplent par un instinct bestial qui les force à continuer la race, leur race, celles dont ils ont la forme, le poil, la taille, les mouvements et les habitudes. Toutes les bêtes en font autant sans savoir pourquoi ! Nous aussi… » (Maupassant, un cas de divorce).

 

« Ce n’est pas seulement dans les armes des hommes à l’égard des belles créatures qu’Eros fait sentir sa puissance. Il a beaucoup d’autres objets et règne aussi sur les corps de tous les animaux, sur les plantes, en un mot sur tous les êtres »

                                                                 (Platon, Le banquet, discours d’Eryximaque)

 

« Il la regardait bien en face, si belle, avec ses yeux gris comme des ciels froids. Dans sa sombre coiffure, dans cette nuit opaque des cheveux noirs luisait le diadème poudré de diamants, pareil à une voie lactée. Alors, il sentit soudain, il sentit par une sorte d'intuition que cet être-là n'était plus seulement une femme destinée à perpétuer sa race, mais le produit bizarre et mystérieux de tous nos désirs compliqués, amassés en nous par les siècles, détournés de leur but primitif et divin, errant vers une beauté mystique, entrevue et insaisissable. Elles sont ainsi quelques-unes qui fleurissent uniquement pour nos rêves, parées de tout ce que la civilisation a mis de poésie, de luxe idéal, de coquetterie et de charme esthétique autour de la femme, cette statue de chair qui avive, autant que les fièvres sensuelles, d'immatériels appétits » (Maupassant, L’inutile beauté)

 

« Tout l'idéal vient de nous, et aussi toute la coquetterie de la vie, la toilette des femmes et le talent des hommes qui ont fini par un peu parer à nos yeux, par rendre moins nue, moins monotone et moins dure l'existence de simples reproducteurs pour laquelle la divine Providence nous avait uniquement animés. Regarde ce théâtre. N'y a-t-il pas là-dedans un monde humain créé par nous, imprévu par les Destins éternels, ignoré d'Eux, compréhensible seulement par nos esprits, une distraction coquette, sensuelle, intelligente, inventée uniquement pour et par la petite bête mécontente et agitée que nous sommes ? » (Maupassant, L’inutile beauté)

 

 

3) Un inconscient psychique ? (l’inconscient)

« On nous conteste de tous côtés le droit d'admettre un psychisme inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l'hypothèse de l'inconscient est "nécessaire" et "légitime", et que nous possédons de multiples "preuves" de l'existence de l'inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l'homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d'autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués et les rêves, chez l'homme sain, et tout ce qu'on appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels chez le malade ; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d'idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l'origine, et de résultats de pensée dont l'élaboration nous est demeurée cachée. Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu'il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d'actes psychiques ; mais ils s'ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or, nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison pleinement justifiée, d'aller au-delà de l'expérience immédiate. Et s'il s'avère de plus que nous pouvons fonder sur l'hypothèse de l'inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l'existence de ce dont nous avons fait l'hypothèse » (Freud)

 

Analyse d’un rêve : situation : une femme de trente ans, mariée depuis 10 ans, qui se dit «heureuse en ménage», raconte son rêve au psychanalyste, Freud.

« Donc, une dame encore jeune, mariée depuis plusieurs années, fait le rêve suivant: elle se trouve avec son mari au théâtre, une partie du parterre est complètement vide. Son mari lui raconte qu'Élise L. et son fiancé auraient éga­lement voulu venir au théâtre, mais ils n'ont pu trouver  que de mauvaises places (3 places pour 1 florin 50 kreuzer) qu'ils ne pouvaient pas accepter. Elle pense d'ailleurs que ce ne fut pas un grand malheur.

La première chose dont la rêveuse nous fait part à propos de son rêve montre que le prétexte de ce rêve se trouve déjà dans le contenu manifeste. Son mari lui a bel et bien raconté qu'Élise L. une amie ayant le même âge qu'elle, venait de se fiancer. Le rêve constitue donc une réaction à cette nouvelle. Nous savons déjà qu'il est facile dans beaucoup de cas de trouver le pré­texte du rêve dans les événements de la journée qui le précède et que les rêveurs indiquent sans difficulté cette filiation. Des renseignements du même genre nous sont fournis par la rêveuse pour d'autres éléments du rêve manifeste. D'où vient le détail concernant l'absence de spectateurs dans une partie du parterre ? Ce détail est une allusion à un événement réel de la semaine précédente. S'étant proposée d'assister à une certaine représentation, elle avait acheté les billets à l'avance, tellement à l'avance qu'elle avait été obligée de payer la location Lorsqu'elle arriva avec son mari au théâtre, elle s'aperçut qu'elle s'était hâtée à tort, car une partie du parterre était à peu près vide. Elle n'aurait rien perdu si elle avait acheté ses billets le jour même de la représentation. Son mari ne manqua d'ailleurs pas de la plaisanter au sujet de cette hâte. —Et d'où vient le détail concernant la somme de 1 fl. 50 ? Il a son origine dans un ensemble tout différent, n'ayant rien de commun avec le précédent, tout en constituant lui aussi, une allusion à une nouvelle qui date du jour avant précédé le rêve. Sa belle-sœur ayant reçu en cadeau de son mari la somme de 150 flo­rins, n'a eu (quelle bêtise) rien de plus pressé que de courir chez le bijoutier et d'échanger son argent contre un bijou. — Et quelle est l'origine du détail relatif au chiffre 3 (3 places) ? Là‑dessus notre rêveuse ne sait rien nous dire, à moins que pour l'expliquer, on utilise le renseigneraient que la fiancée, Elise L..., est de 3 mois plus jeune  qu'elle, qui est mariée depuis dix ans déjà. Et comment expliquer l'absurdité qui consiste à prendre 3 billets pour deux personnes ? La rêveuse ne nous le dit pas et refuse d'ailleurs tout nouvel effort de mémoire, tout nouveau renseignement »

Freud, Conférences sur la psychanalyse.

 

Sens manifeste

Association libre

Sens latent

Au théâtre avec son mari

Référence à un évènement antérieur.

Théâtre : mariage et sexualité : voir le caché.

Une partie du parterre est complètement vide

La semaine dernière a acheté des billets à l’avance – paye la location – lorsqu’elle arrive avec son mari : plein de place. N’aurait rien perdu si elle avait attendu.

Mariage

Temps (trop vite)

Argent (trop cher)

Son mari lui raconte qu’Elise et son fiancé auraient voulu venir mais ils n’ont trouvé que de mauvaise places – refus.

Son mari vient de lui raconter qu’Elise L., une amie à elle du même âge vient se fiancer.

Mariage

 

3 places pour 1 fl 50

Sa belle sœur ayant reçu un cadeau de son mari de 150 florins n’a eu (quelle bêtise) rien de plus pressé que de courir s’acheter un bijou.

Temps (trop vite)

Argent (trop cher).

Rapport : 100 x mieux.

 «ce n’est pas d’ailleurs un grand malheur».

 

Vengeance / Elise L.

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Déplacement : le sens latent fait place au sens manifeste – rêve apparemment sans intérêt, le centre du rêve n’est pas dans le rêve manifeste.

Substitution : bijou = mari ; théâtre = sexualité ; billet = mariage…

condensation (unir en un seul être des propriétés diverses – le bijou réunit les notions de valeur, d’absurdité et de vanité (apparences) et représente un homme désiré).

Sens du rêve : réaction / mariage d’une amie : je me suis empressée de me marier avec mon mari – cf. attrait / sexualité – mais pour le même prix j’aurais eu un mari 100 x mieux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous trouvons toute naturelle la mort d’étrangers et d’ennemis que nous infligeons plus volontiers et avec aussi peu de scrupules que l’homme primitif. Sur ce point cependant, il y a, entre l’homme primitif et nous, une différence qui, dans la réalité apparaît décisive. Notre inconscient se contente de penser à la mort et de la souhaiter, sans la réaliser. Mais on aurait tort de sous-estimer cette réalité psychique par rapport à la réalité de fait. Cette réalité est déjà assez grave et grosse de conséquences. Dans nos désirs inconscients, nous supprimons journellement, et à toute heure du jour, tous ceux qui se trouvent sur notre chemin, qui nous ont offensés ou lésés. « Que le diable l’emporte ! » disons nous couramment sur un ton de plaisanterie, destiné à dissimuler notre mauvaise humeur. Mais ce que nous voulons dire réellement, sans l’oser c’est : « que la mort l’emporte », et ce souhait de mort, notre inconscient le prend plus au sérieux que nous ne le pensons nous-mêmes et lui donne un accent que notre conscience est prête à désavouer. Notre inconscient tue même pour des détails ; comme l’ancienne législation athénienne de Dracon, il ne connaît pas d’autre châtiment pour les crimes que la mort, en quoi il est assez logique, puisque tout tort infligé à notre moi tout puissant et autocratique est, au fond, un crime de lèse majesté.

C’est ainsi qu’à en juger par nos désirs et souhaits inconscients, nous ne sommes tous qu’une bande d’assassins.                                                    Freud, Considérations actuelles sur la guerre et la mort, 1915

 

 

 

f

 
« Le désir d’appropriation du sentiment de moi est sans limites ; les grands hommes parlent comme si tous les âges se tenaient derrière eux et s’ils étaient la tête de ce long corps, et ces chères femmes se font un mérite de la beauté de leurs enfants, de leurs vêtements, de leur chien, de leur médecin, de leur ville, à ceci près qu’elles n’osent pas dire : « tout cela, c’est moi » » (Nietzsche, Aurore, IV, § 285).

 

 

 

 

 

 

 

Etapes de constitution de la psyché dans sa relation à l’extériorité du monde.

 

Monde approprié = « autre mien »

 

Mauvais monde = « autre étranger »

Clôture primordiale autistique d’un être autosuffisant.

Pas encore de monde extérieur à soi : « je = tout = plaisir »

« A l’origine le moi contient tout, ultérieurement il sépare de lui un monde extérieur » (Freud)

 

Pas encore de monde extérieur à soi : « je = tout = plaisir »

Brisure de la clôture

Nous sommes deux.

« Le bon sein ». La bonne mère – le bon lait… = le bon monde

« Le mauvais sein ». La mauvaise mère = le mauvais monde

Nous sommes trois.

Interdit de fusion, reconnaissance de l’interdit et de sa place dans la structure familiale.

 

Identification – création de l’idéal du moi : le père tout-puissant aimé et pris pour idéal : ouverture de nouvelles relations prises dans un nouvel horizon (futur) du monde.

 

Complexe d’Œdipe : « Le père haï et expulsé ». Re-centration sur la mère. Expulsion du corps étranger.

Nous sommes plusieurs et ma famille est une famille parmi d’autres dans l’espace social.

 

Investissement du monde social, de ses valeurs et de ses buts,  de ma définition (rôle, situation) sociale.

 

Reflux vers le monde clos familial. Les autres = angoisse et peur.

 

Il y a plusieurs sociétés, irréductibles à la mienne.

 

Cosmopolitisme : « citoyen du monde ».

Séparation de l’ami (nous = les bons, les justes) / ennemi = l’étranger, l’infidèle – selon une pluralité de cercles concentriques (le village, la patrie, la religion, la race…).

Je ne suis rien dans le grand univers.

???? pb du sens de la vie ????

Accepter la mortalité

La mort, le néant de nos vies = horreur et angoisse.

= « l’immonde » (ce qui ne peut faire monde)

 

 

 

4) Un inconscient social ?

 

« L’homme reçoit du milieu, d’abord, la définition du bon et du mauvais, du confortable et de l’inconfortable. Ainsi le Chinois va-t-il vers les œufs pourris et l’Océanien vers le poisson décomposé. Ainsi pour dormir, le pygmée recherche t’il la meurtrissante fourche de bois et le japonais place t’il sous sa tête le dur billot. L’homme tient aussi de son environnement culturel une manière de voir et de penser le monde. Au Japon, où il est poli de juger les hommes plus vieux qu’ils ne paraissent, même en situation de test et de bonne foi, les sujets continuent de commettre des erreurs par excès. On a montré que la perception, celle des couleurs, celle des mouvements, celle des sons – les Balinais se montrent très sensibles aux quarts de tons par exemple – se trouve orientée et structurée selon les modes d’existence. L’homme emprunte enfin à l’entourage des attitudes affectives typiques. Chez les Maoris, où l’on pleure à volonté, les larmes ne coulent qu’au retour du voyageur, jamais à son départ. Chez les Eskimos, qui pratiquent l’hospitalité conjugale, la jalousie s’évanouit comme à Samoa ; en revanche, le meurtre d’un ennemi personnel y est considéré normal, alors que la guerre – combat de tous contre tous, et surtout contre des inconnus – paraît le comble de l’absurde ; la mort ne semble pas cruelle, les vieillards l’acceptent comme un bienfait et l’on se réjouit pour eux. Dans les îles d’Alor le mensonge ludique est tenu pour naturel : les fausses promesses à l’égard des enfants sont le divertissement courant des adultes. Un même esprit de taquinerie se rencontre dans l’île de Normanby où la mère, par jeu, retire le sein à l’enfant qui tête. La pitié pour les vieillards varie selon les lieux et les conditions économico-sociales : certains Indiens, en Californie, les étouffaient, d’autres les abandonnaient sur les routes. Aux îles Fidji, les indigènes les enterraient vivants. Le respect des parents n’est pas moins soumis aux fluctuations géographiques. Le père garde droit de vie et de morts en certains lieux du Togo, du Cameroun, du Dahomey ou chez les Négritos des Philippines. En revanche, l’autorité paternelle était nulle ou quasi nulle dans le Kamtchatka précommuniste ou chez les aborigènes du Brésil. Les enfants Tarahumara frappent et injurient facilement leurs ascendants. Chez les Eskimos – encore eux – le mariage se fait par achat. Chez les Urabima d’Australie un homme peut avoir des épouses secondaires qui sont les épouses principales d’autres hommes (…) La sensibilité dite « masculine » ici, peut-être, ailleurs une caractéristique « féminine » comme chez les Tchambuli, par exemple, où la femme, dans la famille, domine et assume le rôle de direction. »  

                                                                                                                                          Lucien Malson, Les enfants sauvages

 

 

« L’usage qu’un homme fera de son corps est transcendant à l’égard de ce corps comme être simplement biologique. Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions. Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait « naturels » et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique – et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque qui pourraient servir à définir l’homme »

Merleau – Ponty, Phénoménologie de la perception

 

 

« Ainsi avec des symboles l’homme construisit un monde nouveau. Bien sûr, il foulait encore la terre, sentait le vent contre sa joue, ou l’entendait frémir dans les pins ; il buvait l’eau des rivières, dormait sous les étoiles et s’éveillait pour saluer le soleil. Mais ce n’était pas le même soleil ! Plus rien n’était pareil. Tout était « baigné dans la lumière céleste » ; et il y avait « des signes de l’immortalité » partout. L’eau ne permettait pas seulement d’étancher la soif. Elle pouvait accorder l’éternité à la vie. Entre l’homme et la nature, était tendu le voile de la culture et il ne pouvait rien voir autrement que par cet intermédiaire. Il utilisait encore ces sens. Il taillait la pierre, chassait le cerf, s’accouplait et procréait. Mais partout s’infiltrait l’essence des mots : les significations et les valeurs qui dépassaient les sens. Et ces significations et valeurs le guidaient, en plus de ses sens, et prenaient souvent le pas sur eux. »  

                                                                                                                White

                                                                                                   

 

           

 

Van Gogh, Champ de blé                                          Le Lorrain, L’embarquement de la reine de Saba

 

 

 

«   Et lentement, crevant les nuées éclatantes, criblant de feu les arbres, les plaines, l’océan, tout l’horizon, l’immense globe flamboyant parut. Et Jeanne se sentait devenir folle de bonheur. Une joie délirante, un attendrissement infini devant la splendeur des choses noya son cœur qui défaillait. C’était son soleil ; son aurore ; le commencement de sa vie ! le lever de ses espérances ! Elle tendit les bras vers l’espace rayonnant, avec une envie d’embrasser le soleil ; elle voulait parler, crier quelque chose de divin comme cette éclosion du jour ; mais elle demeurait paralysée dans un enthousiasme impuissant. Alors, posant son front dans ses mains, elle sentit ses yeux pleins de larmes ; et elle pleura délicieusement »

                                            Maupassant, Une vie

 

 

 

« Seul d’entre les animaux, l’homme a la parole. Sans doute les sons de la voix (phonè) expriment-ils la douleur et le plaisir ; aussi la trouve t’on chez les animaux en général : leur nature leur permet de ressentir la douleur et la plaisir et de se les manifester entre eux. Mais la parole (logos), elle, est faite pour exprimer l’utile et le nuisible et par suite aussi le juste et l’injuste. Tel est, en effet, le caractère distinctif de l’homme en face de tous les autres animaux : seul il perçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et les autres valeurs ; or c’est la possession commune de ces valeurs qui fait la famille et la cité.

 Par nature donc, la cité est antérieure à la famille et à chacun de nous, car le tout est nécessairement antérieur à la partie ; si le corps entier est anéanti, il n’y aura plus ni pied ni main, si ce n’est par analogie verbale, comme on dit une main de pierre : telle sera, en effet, une main une fois morte (…) Ainsi donc, il est évident que la cité existe par nature et qu’elle est antérieure à chaque individu ; en effet, si chacun isolément ne peut se suffire à lui-même, il sera dans le même état qu’en général une partie à l’égard du tout ; l’homme qui ne peut pas vivre en communauté ou qui n’en a nul besoin, parce qu’il se suffit à lui-même, ne fait point partie de la cité : dés lors, c’est un monstre ou un dieu. »                  Aristote, Politique, I.2

 

 

 

« Pour l’homo religiosus, l’essentiel précède l’existence. Ceci est vrai aussi bien des sociétés « primitives » et orientales que pour le juif, le chrétien, le musulman. L’homme est tel qu’il est aujourd’hui parce qu’une série d’événements ont eu lieu ab origine. Les mythes lui racontent ces événements et, ce faisant, lui expliquent comment et pourquoi il a été constitué de cette façon. Pour l’homo religiosus l’existence réelle, authentique, commence au moment où il reçoit la communication de cette histoire primordiale et en assume les conséquences ».        

           Eliade, Aspects du mythe, p. 116

 

 

 «  L’inconscient n’est jamais que l’oubli de l’histoire que l’histoire elle-même produit en incorporant les structures objectives qu’elle produit dans ces quasi-natures que sont les habitus » (Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique).

 

 

Conclusion générale

 

 «  Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsque une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits. » (Descartes, Discours de la méthode).

 

Epicure : «  Aucune raison providentielle n’était à l’œuvre pour créer les êtres vivants […] Ce sont les semences voltigeant à travers l’espace qui, en se groupant par aventure, produisent et font croître toutes choses ».

 

« Les altérations accidentelles constituent la seule source possible de modifications du texte génétique, seul dépositaire, à son tour, des structures héréditaires de l’organisme. Il s’ensuit nécessairement que le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère » (J. Monod, p. 123).

 

« Puis-je voir sans surprise un homme persuadé que les corpuscules solides et insécables, obéissant aux lois de la pesanteur, engendrent par leur rencontre fortuite un monde où règne un si bel ordre ? Qui admet la possibilité de cette génération, je ne conçois pas pourquoi il n’admettrait pas aussi que les vingt et un caractères de l’alphabet répétés en or ou en n’importe quelle matière à d’innombrables exemplaires, si on les jette à terre, se disposer de façon à former un texte bien lisible des annales d’Ennius. Que si les atomes peuvent en se groupant constituer un monde, pourquoi ne peuvent-ils faire un portique, un temple, une maison, une ville ? Ce sont des ouvrages exigeant moins de travail et bien plus faciles » (Cicéron, De la nature des Dieux).

 

 

« Chiffrer la probabilité de l’apparition du premier être vivant : tenter de calculer la probabilité d’apparition par hasard de caractères essentiels à la vie :

. Toutes les molécules constitutives du vivant = asymétrie importante.

. Chiffrer l’asymétrie entre 0,5 et 1 – 1 = asymétrie maximale ; 0,5 = parfaite symétrie.

. Boules blanches et noires : 1 = toutes les boules blanches d’un côté ; 0,5 : autant de chaque côté.

. Molécules organiques – simplification : chacune 2000 atomes de deux espèces différentes en nombre égal.

. Probabilité d’apparition d’une asymétrie de 0,9 = 2,02 x 10-321 !

 

. Supposons que globe terrestre = formé que de molécules de 2000 atomes de deux espèces différentes et que, 500 trillions (1012) de fois par seconde, chaque molécule modifie complètement et au hasard la répartition de ses atomes : 10243 années pour qu’apparaisse une molécule d’asymétrie 0,9.

 

. Or Terre = 4,5 milliards d’années (4,5 x 109) !

. Et nombre d’atomes de l’univers connu = 280.

. D’où : probabilité d’obtenir par hasard la molécule d’asymétrie 0,9 = même que de trouver par hasard un atome particulier parmi l’ensemble des atomes de 10235 univers, chacun aussi grand que le nôtre = un hasard impossible » (Calcul tiré de F.Kaplan, Entre Dieu et Darwin).